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soupçonner que l’ancien escalier dérobé de lady Masham ne fut pas fermé pour Bolingbroke. Le 20 juillet, la reine le manda avec le chancelier, et sept jours après elle reçut Oxford, qui la trouva entourée de ses ennemis. Bolingbroke, Harcourt, lady Masham. Il y eut une scène très vive qui dura jusqu’à deux heures du matin. Oxford ne ménagea personne ; il montra le ridicule et le péril du plan de ses adversaires, prédit qu’il serait vengé et qu’il les verrait, réduits à leur abjection primitive, payer leur dette à la justice nationale. La reine parut fort troublée, mais nullement touchée, et elle lui reprit la baguette blanche, signe du titre de lord trésorier.

Les amis d’Oxford, et parmi eux Swift lui-même, ont attribué sa disgrâce à son attachement pour la succession protestante. Il faut supposer en effet un grief bien sérieux dans l’esprit de la reine, à moins qu’on ne veuille tout ramener à quelque vengeance de lady Masham. Comment s’expliquer la défection de tous ceux qu’il avait faits ministres, si ces derniers ne l’avaient cru séparé de la reine et d’eux sur un point fondamental ? Le duc de Shrewsbury seul reste difficile à comprendre ; il passa du côté de Bolingbroke probablement pour rester du côté de la reine, mais il avait ses desseins. Pour Bolingbroke, il triomphait ; on le croyait premier ministre. Ormond, Atterbury, Wyndham, Bromley, Moore, semblaient prêts à le suivre. Buckingham, Strafford, le comte de Mar, secrétaire d’état pour l’Ecosse, devaient s’unir à lui. Tous ces noms semblent des preuves parlantes d’un complot jacobite, et l’on ne peut guère supposer que l’exclusion perpétuelle des Stuarts fût la pensée fondamentale de la nouvelle coalition. Cependant il semble que rien entre eux n’était décidément convenu. Très peu de jours après le renvoi d’Oxford, lord Lansdowne, se trouvant en voiture seul avec Wyndham, lui dit que, maintenant que le pouvoir était entièrement dans leurs mains, ils pouvaient aisément ménager une restauration. — « Chassez cette idée de votre tête, répondit sir William, cela ne se fera jamais. Jacques est un homme, impraticable, jamais on ne le pourra réduire. » C’était apparemment une allusion à l’obstination religieuse du prétendant. En effet, loin de faire une cour exclusive aux jacobites, Bolingbroke, fidèle à l’usage de tous ceux qui arrivent au pouvoir par une opinion extrême, recherchait déjà les chefs de l’opinion contraire ; il réunissait à dîner, dans sa maison de Golden-Square, Walpole, Stanhope, Pulteney, les principaux orateurs whigs, et cherchait ces rapprochemens forcés toujours faciles aux opinions franchement opposées, parce qu’ils ne tirent pas à conséquence. On parla même un moment d’un ministère de coalition, et un ancien négociant, John Drummond, un des confidens de Bolingbroke, eut ordre de se tenir prêt à partir pour le Hanovre, où il devait aller traiter avec l’électeur. Le soir du