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à l’envoyé de France d’Iberville, et le plus probable, c’est qu’il espérait qu’elle brouillerait Oxford avec les jacobites, et qu’Oxford comptait qu’elle le raccommoderait avec les Hanovriens. Il y eut dans cette affaire un assaut de ruses digne du théâtre.

La reine, qui jouait de mauvaise humeur sa part de cette comédie, eut encore la force de venir elle-même au parlement annoncer la prorogation, mais sans un mot rassurant et positif sur l’avenir de la royauté : elle ne sut encore que reprocher aux chambres leurs divisions et les engager à imiter, dans leur respect pour sa prérogative, son respect pour les droits de son peuple.


XV

Anne était malade ; la goutte et d’autres accidens lui laissaient peu de forces et de repos ; une étrange habitude avait contribué à altérer sa santé. Lors de la signature des conventions de Fontainebleau, Louis XIV lui envoya, avec six magnifiques habillemens, deux mille cinq cents bouteilles de vin de Champagne, et ce présent était malheureusement trop bien adressé. On sait quel goût grossier déparait alors les mœurs anglaises. Les orgies de Bolingbroke ont été célèbres, et Oxford, dont on loue la vie régulière, passe pour l’avoir abrégée par l’usage immodéré du vin. Le prince de Danemark, homme du Nord, adonné aux habitudes analogues de son pays, les avait communiquées à sa femme, qui même, assure-t-on, n’excluait pas les liqueurs spiritueuses. Un écrivain de notre temps l’excuse par un besoin trop légitime d’échapper aux ennuis attachés à la royauté[1]. Toujours est-il que dans les dernières années de sa vie elle était souffrante et abattue, et sa mélancolie semblait l’avoir ramenée à d’anciens regrets, ou plutôt à d’anciens repentirs. Avant de régner, peu ménagée par Guillaume III, elle s’était reproché son adhésion à la révolution de 1688. Elle avait renoué quelques relations avec son père exilé. Du moins, aussitôt que le roi Jacques eut fermé les yeux, la reine Marie de Modène écrivit à sa belle-fille qu’il était mort en lui pardonnant, et en priant Dieu de la convertir et de la confirmer dans la résolution de réparer envers son fils le tort qui lui avait été fait à lui-même, cette lettre se rapporte même à des protestations antérieures qui furent d’abord oubliées sur le trône, mais que l’âge et le chagrin purent rappeler à la mémoire d’une veuve sans enfans, sans famille, combattue entre ses préjugés politiques et ses préjugés religieux. Quoiqu’une lettre assez pressante écrite en 1711 par le chevalier de Saint-George à sa tante fût restée

  1. Leigh Hunt, Men, Women and Books, t. Ier, 1847.