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conduire, un grand but à atteindre pont donner de la force au gouvernement. Sa tâche alors le soutient, dès qu’elle ne l’accable pas. Il en est plus actif, plus uni, mieux servi ; son parti se discipline et se subordonne à ses vues. Tout cela change quand la cause est gagnée. C’est alors que les mécontentemens amassés pendant le travail éclatent ; les vanités et les ambitions se mettent à l’aise ; les partis deviennent exigeans et ingrats. Si surtout un des ministres s’attribue tout l’honneur du succès dont profite le premier ministre, la division n’est pas loin, et celle du parti devance celle de ses chefs. Telle était la situation où touchait le gouvernement. Le public, sans bien connaître l’état intérieur du cabinet, sentait cependant qu’une crise approchait. Il régnait beaucoup d’obscurité dans tous les esprits. La santé de la reine était incertaine comme ses résolutions, les intentions de lord Oxford aussi douteuses que son caractère, jusque-là qu’un de ses apologistes convient qu’il courait sur son compte onze opinions différentes. L’ambition de Bolingbroke était chose moins mystérieuse, mais tendait-elle à un changement de ministère ou de dynastie ? On l’ignorait. Les nominations n’étaient pas rassurantes. Bromley, sir William Wyndham qui passaient pour jacobites, étaient devenus, l’un secrétaire d’état à la place de lord Dartmouth, l’autre chancelier de d’échiquier. Sacheverell, dont l’interdiction expirait, était, après avoir prêché devant la chambre des communes, nommé recteur de Saint-André dans Holborn ; Atterbury, bon prédicateur et pamphlétaire meilleur, obtenait l’évêché de Rochester. Le pauvre Swift n’avait pu devenir évêque, ni même doyen de Windsor : les préventions de la reine étaient invincibles. Elle objectait toujours qu’il passait pour l’auteur du Conte du Tonneau, qu’elle n’était pas sûre qu’il fût chrétien, et quand elle paraissait s’adoucir, lady Somerset intervenait et lui demandait à genoux de ne point faire un prélat de celui qui, dans la prophétie de Windsor, l’avait appelée carotte. Enfin le duc d’Ormond, qui avait repris la lieutenance de l’Irlande, le fit nommer doyen de Saint-Patrick à Dublin, bénéfice estimé à 700 livres sterling de revenu.

Dans ces circonstances, l’opinion publique ne pouvait être pleinement rassurée sur un point, le danger de la succession protestante. Quiconque paraissait croire à ce danger était de l’opposition, et le ministère le traitait en ennemi, ce qui augmentait les craintes, au lieu de les calmer. Plus d’un grand seigneur tory n’était tombé en disgrâce que pour avoir exprimé des inquiétudes que le gouvernement justifiait en le disgraciant. Il propageait la défiance en la tenant pour hostile, et ses meilleurs amis étaient ceux qui ne croyaient point aux dangers de la succession protestante. Or qui était moins touché de ces dangers que les jacobites ? Rien donc de plus équivoque que la