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succèdent, dans les Récits littéraires de M. Texier, des pages arrachées aux journaux sur les incidens de la vie intellectuelle de chaque jour. Ce qu’il y aurait à noter dans ces pages, c’est la netteté, le bon sens, le goût du style simple et clair. Parfois l’esquisse littéraire y devient tout un petit chapitre de fine morale et même, par exception, de politique. Olibrius est assurément une amusante peinture des facéties socialistes. On peut se demander seulement à quel titre se retrouve dans les Critiques littéraires le récit du voyage du président de la république dans le midi de la France en 1852. Comme cela ne parait point être une œuvre d’enthousiasme, et que, d’un autre côté, ce n’est point à coup sûr une œuvre littéraire, il ne reste guère d’autre motif que celui de compléter un livre ; mais ce n’est point là une raison absolument suffisante. Quoi qu’il en soit, les Critiques et Récits littéraires sont comme une galerie ouverte par M. Texier. Ce qui trouverait merveilleusement sa place, dans cette galerie, ce sont des livres comme les Nuits italiennes de M. Méry ou les Femmes de M. Alphonse Karr.

Ce n’est pas que nous comparions entièrement les deux ouvrages et les deux écrivains. M. Méry semble, depuis quelque temps, possédé du besoin de rassembler pour les laisser à la postérité toutes les pages qu’il a jetées à tous les vents. Il est seulement à craindre qu’elles n’aillent à toutes les adresses, hormis à la véritable. M. Méry a publié les Nuits de Londres, il publie les Nuits italiennes ; il pourrait aussi bien peut-être publier les nuits du talent, si tant est qu’il y ait eu jamais un talent bien réel dans ce prétentieux cliquetis de mots, dans toute cette affectation d’esprit, dans toute cette quintessence alambiquée de verve marseillaise, assez froide au fond sous son exubérance factice. Quant aux Femmes de M. Alphonse Karr, c’est une œuvre spirituelle et mordante qui ne brille pas sans doute par la révérence pour le sujet, ni même toujours par une exquise délicatesse ; mais il y a souvent des traits d’une observation juste et pénétrante sur les mœurs contemporaines et sur la position faite à la femme dans notre société. M. Karr semble surtout s’être proposé un but bizarre, celui de corriger les femmes de leurs caprices de mode. Peut-être est-ce un point sur lequel il insiste un peu longuement, et il entre même dans des détails de toilette qui trouvent ici singulièrement leur place. En un mot, il se pourrait que M. Karr fût un moraliste piquant et sagace, enveloppant son observation d’une forme humoristique qui n’est pas toujours paradoxale, mais trop occupé de modes et du détail extérieur des mœurs pour pénétrer bien avant dans ce monde mystérieux de l’ame d’une femme, le plus étrange de tous les problèmes peut-être, — si le cœur de l’homme n’existait pas.

Certes, si des productions de l’esprit peuvent différer entre elles, ce sont bien ces livres dont nous parlons avec ces deux œuvres étrangères, l’une allemande, l’autre flamande, — les Scènes villageoises de la Forêt-Noire et la Guerre des paysans, — qu’une traduction vient de naturaliser dans notre langue. Les esquisses de M. Auerbach et le roman de M. Conscience sont le fruit de cette inspiration contemporaine qui va chercher un aliment dans le spectacle des mœurs populaires, de la vie des paysans, et s’efforce de reproduire dans sa rude simplicité ce monde si étrangement défiguré par les pastorales du XVIIIe siècle. C’est là ce que les deux ouvrages ont de commun, tout