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biblique uni aux tendances de la plus franche démocratie, tel que nous le voyons à chaque instant dans les livres de mistress Wetherell ? Nous ne l’admettrions pas volontiers, comme on a pu le voir déjà. Autant le sentiment religieux, exploité ou compris de certaine manière, — on devine aisément laquelle, — est antipathique aux notions de la liberté humaine, autant il atténue chez les hommes le sentiment de leur valeur propre et s’efforce de les rendre indifférens à toutes les humiliations qui dérivent de l’asservissement politique, autant la véritable interprétation des livres où on cherche l’inspiration d’en haut nous parait propre à moraliser l’homme en l’éclairant sur ses devoirs aussi bien que sur ses droits. Pour un peuple libre, quel est le grand problème à résoudre ? C’est de remplacer par l’autorité morale de la loi le despotisme d’une volonté arbitraire, de substituer à d’ignobles entraves des liens respectables et sacrés. Or, comment opérer, mieux que par la mise en honneur des vrais préceptes religieux, cette substitution sans laquelle les révolutions risquent de demeurer stériles ? Quelle loi sera plus vénérable que celle dont les siècles ont respecté la teneur, dont toutes les fluctuations de la pensée humaine ont laissé subsister les fortes assises, et qui, mise en pratique comme elle l’est par la race anglo-saxonne, lui donne cette énergique patience, cette ardeur contenue et continue, cette cohérence, cette force de prosélytisme qu’elle déploie aux yeux de l’univers étonné ?

La Bible, dans ses applications à la vie privée, — et c’est surtout ainsi que nous pouvons l’envisager en appréciant les fictions de mistress Wetherell, — la Bible est un code à la fois doux et sévère. Il ne conduit pas à ces renoncemens extatiques du monachisme si chers aux natures rêveuses, et dont elles savent se faire d’idéales voluptés. Il n’autorise pas ces tendances quelquefois sublimes, plus souvent raffinées en égoïsme, qui retranchent l’homme de la grande famille humaine et le dérobent à toutes les souffrances du cœur, à toutes les responsabilités du travail. Vous n’y trouverez en germe ni l’ascétisme paresseux, ni les pénitences inutiles des bonzes d’Orient, mais la grandeur du dévouement, l’impérieux devoir de la charité active, le dédain de toute hiérarchie selon les hommes, la ferme croyance en une égalité de nature qui implique l’égalité des droits. Voulez-vous un exemple de cette tendance dans le roman biblique ? Prenez l’entretien de Fleda et de Carleton, lorsque ce dernier, noble entre les nobles, riche entre les riches, demande la main de cette pauvre petite Cendrillon américaine. Croyez-vous qu’elle s’excusera de sa pauvreté ? Croyez-vous qu’elle aura quelques scrupules sur la différence de leurs conditions ? Croyez-vous qu’elle sera pénétrée de l’honneur qu’elle reçoit, de la condescendance qu’on lui témoigne ?