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Sur quoi, Charbon, bien averti qu’il n’obtiendra pas d’autre réponse à ses indiscrètes questions, entame avec Fleda une longue discussion à propos de la guerre du Mexique. Notons, en passant, que les quakers détestent la guerre, et que mistress Wetherell, qui appartient à cette secte, se fait ici leur organe. Fleda suppute les frais de la campagne qui naguère aboutit à l’occupation de Mexico par les troupes des États-Unis, et demande à son cousin si, pour la moitié de cette somme (100,000,000 de dollars), le Mexique n’eût pas vendu le territoire qu’on lui a pris. L’achat substitué à la conquête, morale de peuple riche ; mais elle n’est de mise que vis-à-vis d’un peuple pauvre. Qu’on aille donc marchander le Canada aux Anglais !

Revenons au roman. Charlton a présenté à sa famille un sien ami, M. Thorn, qui s’éprend pour Fleda d’un très vif attachement. Inutile de dire qu’il n’est nullement payé de retour. Le souvenir de Carleton ne laisse aucune chance à personne, à M. Thorn bien moins qu’à tout autre, car ce gentleman est un assez triste échantillon de la jeunesse américaine, qui serait, à la juger d’après lui, égoïste, sceptique, aussi maladroite dans ses flatteries que malavisée et peu mesurée dans ses tentatives d’épigrammes. À défaut d’autres séductions, Thorn possède un talisman mystérieux dont il fait usage, à la dernière extrémité, pour dompter la résistance de Fleda. Entraîné par des embarras pécuniaires à une criminelle folie, M. Rossitur a placé, au bas d’un billet souscrit par lui, l’aval du père de M. Thorn, dont il a contrefait la signature. À l’échéance, le billet a été payé par le prétendu garant, qui n’a pas voulu perdre un ancien ami. Toutefois, et par une contradiction assez invraisemblable, cet homme si généreux a laissé connaître à son fils un secret dont dépend l’honneur de l’homme qu’il voulait sauver : — il lui a même confié le billet fatal, la preuve matérielle du faux, ce qui donne à ce jeune homme la tentation d’en abuser pour placer Fleda dans ce terrible dilemme, ou de devenir sa femme, ou, se refusant à ce sacrifice, de vouer au déshonneur le malheureux dont elle est en quelque sorte la fille adoptive.

À ce moment, Carleton, longtemps éloigné de la scène, y a finalement reparu, toujours calme, impassible, suivant de l’œil Fleda, lui parlant à peine, et cuirassé contre les malignes insinuations dont on le poursuit au sujet de cette jeune fille. De temps en temps, une parole affectueuse, une attention délicate, un splendide bouquet, et voilà tout ce qu’il fournit d’alimens à la flamme cachée dont elle brûle pour lui, mais si telle est sa réserve, celle de la prudente enfant ne lui cède en rien. Elle le voit, sans jamais se démentir, en butte aux coquetteries de deux jeunes et brillantes cousines auprès desquelles elle est venue passer quelque temps. Leur mère, qui ne