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— Eh bien ! reprit son guide, essayant d’arriver à un compliment quelconque, j’aimerais assez que vous fussiez la mienne. »

On verra plus tard quelle secrète pensée se tapit au fond de ce vœu bizarre, auquel vraiment Ellen ne pouvait s’associer. Aussi le voyage continue-t-il sans beaucoup d’autres dialogues. La nuit tombe, les étoiles émaillent le ciel : la fraîcheur du soir, la fatigue, ont engourdi la jeune fille ; mais lorsque Van Brunt lui annonce qu’ils sont arrivés, une sensation poignante lui traverse le cœur ; elle s’éveille en sursaut, et, par un mouvement involontaire, étend les mains devant elle comme pour percer les épaisses ténèbres qui lui cachent l’habitation. Van Brunt l’enlève dans ses bras robustes et la dépose sur le sol :

« Nous voici rendus…, et un peu tard. Vous devez être lasse… Allez droit devant vous, à cette petite porte que vous voyez.

— Mais… je ne vois rien, remarqua timidement Ellen.

— Venez donc, je vais vous montrer… Eh ! prenez garde, vous allez vous heurter à la barrière… Par ici !… Allez droit à cette porte, là-bas, au bout du petit chemin… ouvrez, et vous verrez de quel côté tourner… Ne frappez pas… Tirez tout bonnement le loquet, et entrez !… »

« Puis il s’en retourna vers ses bœufs…

« Ellen finit par distinguer sur le ciel le profil massif de la maison, et sur la terre une ligne blanchâtre tracée, par le sentier qu’on lui indiquait. Ses pas indécis la conduisirent en avant jusqu’à ce que son pied se heurta au degré qui précédait le seuil. Ses mains tremblantes trouvèrent le loquet et le soulevèrent : elle entra. L’obscurité était complète. À droite cependant, une fenêtre laissait filtrer quelques minces rayons de lumière. Elle se dirigea de ce côté, découvrit à tâtons un autre loquet plus difficile que le premier, mais dont elle vint cependant à bout. Elle poussa la porte pesante et se trouva dans une cuisine de bonnes dimensions, d’aspect assez gai. Un excellent feu flambait dans l’énorme cheminée ; à sa lueur les murs et le plafond, blanchis à la chaux, paraissaient jaunes. Il jetait assez de clarté pour qu’on pût se dispenser de flambeaux : aussi n’en avait-on pas allumé. La table était mise pour le souper, et avec sa nappe d’un blanc de neige, sa garniture brillante de propreté, elle offrait certainement l’idée du bien-être. La seule personne assise près de la cheminée était une femme très âgée, dont Ellen ne voyait que le dos, et qui, tout occupée de son tricot, ne tourna seulement pas la tête. Ellen avait fait un ou deux pas dans la pièce, hors d’état de parler ou d’avancer… « Serait-ce ma tante Fortune ? pensait-elle… Elle ne peut être si vieille que cela ? »

« La minute d’après, une porte s’ouvrit sur la droite, et sur le premier degré d’un escalier qui, de la cuisine, descendait en quelque cellier, parut une seconde figure. C’était une femme qui entra, rejetant du pied derrière elle la porte qui venait de lui livrer passage. À la vérité ses mains étaient occupées, car elle portait dans l’une un couteau et une lampe, dans l’autre une assiettée de beurre. À la vue d’Ellen, elle s’arrêta tout court.