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redoutant leurs attaques. De manière ou d’autre, ces exilés politiques, sociniens, anabaptistes, indépendans, quakers, etc., durent se croire et se crurent en effet les martyrs de leurs doctrines religieuses. Ils souffraient pour la cause de Dieu, et Dieu se manifestait à eux par la Bible ; Déjà, comme protestans, ce livre leur était devenu sacré. Que n’était-il pas pour eux après tant de sacrifices !

Ce dépôt de la foi biblique qu’ils emportaient ainsi dans l’exil, rien ne devait en altérer à leurs yeux la valeur. Emporté dans un tourbillon de luttes continuelles, de labeurs gigantesques, de développemens inouïs, le peuple américain n’a presque pas ressenti le contre-coup des révolutions intellectuelles qui ont agi d’une manière si remarquable sur la marche des idées en Europe. Jusqu’à ces derniers temps, où la philosophie allemande a trouvé dans Emerson un interprète, un vulgarisateur aimé, l’Amérique s’est tenue à l’écart de ces examens plus ou moins utiles, plus ou moins dangereux, comme on voudra. Contente d’avoir établi pour chacun de ses citoyens le droit absolu d’adorer Dieu à sa guise, elle a pris d’autant moins d’intérêt à la révolte de la raison contre l’autorité religieuse, que cette autorité ne pouvait être aux yeux de personne ; en ce pays de liberté, ni usurpatrice de biens temporels, ni complice de certaines persécutions, ni surtout appelée à corroborer, par toute son influence sur les esprits, le despotisme de l’autorité politique. Si la Bible eut été invoquée, dans les années qui précédèrent l’émancipation des États-Unis, par un clergé salarié, pour justifier le droit absolu de la métropole à taxer les colonies, il est probable que nous ne la verrions pas si respectée aujourd’hui, et si en revanche le catholicisme français, au lieu d’unir étroitement les intérêts du trône à ceux de l’autel, eut élargi l’interprétation des Écritures de manière à y laisser place au courant des idées démocratiques, il est possible que les penseurs du XVIIIe siècle eussent attaqué avec moins d’irrévérence les traditions de la foi chrétienne.

Sans insister sur ces hypothèses d’une application très délicate, constatons les faits. Les textes de la révélation chrétienne sont en grand honneur chez les républicains protestans d’Amérique, où tout le monde lit la Bible. En France, nous ne croyons rien avancer de trop hardi, si nous disons que, sur dix mille catholiques rassemblés au hasard, la chance serait heureuse d’en trouver un qui eût ce livre entre les mains, et deux qui en eussent fait l’objet d’une étude suivie à un autre point de vue que celui de la curiosité littéraire. Chez nous, pour les enfans, le catéchisme supplée la Bible ; plus tard, c’est l’Imitation de Jésus-Christ. Peut-être y aurait-il un parallèle curieux à établir, malgré leur inégalité originelle, entre ces deux sources de réflexions et de consolations ; peut-être cette comparaison