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de mon patrimoine et de celui de mes enfans, et que je dois leur transmettre l’héritage de mes pères. » Se concilier les catholiques et les séparer des libéraux, avec lesquels ils avaient fait une alliance purement accidentelle, et qui n’avait pour base que la communauté du mécontentement, paraissait être la mesure la plus habile et la plus urgente. Le prince en entretint l’internonce Capaccini, qui, avec la présence d’esprit que l’église ne perd jamais, accepta avidement cette ouverture. Le prélat conseilla de nommer sur-le-champ un évêque à Bruges et un autre à Bois-le-Duc, et désignant les deux personnages qui lui paraissaient devoir être appelés à ces postes éminens, il ajouta : « Le roi les nommera, et je prends sur moi de déclarer que c’est avec l’approbation du saint père. » Le prince adopte cette pensée et écrit au roi pour en proposer l’exécution immédiate. Il lui est répondu qu’on ne peut rien accorder ni conclure à ce sujet avant la décision de Rome à l’égard de négociations engagées avec elle. Informé de cette objection, monsignor Capaccini, sur l’invitation du prince, rédige un mémoire clair et concluant, afin de démontrer que les nominations proposées n’ont aucun rapport avec la réponse attendue de Rome. On expédie cette pièce à La Haye, mais sans succès. Les dispositions du roi étaient encore une fois changées. Son irritation n’avait plus de bornes. Il faisait l’entrer M. Van Maanen au ministère, et adressait aux provinces du nord un appel aux armes. C’est alors que le prince d’Orange prend un parti désespéré. N’obtenant rien de son père, contrarié dans ses mesures, repoussé dans ses propositions, voyant la couronne belge fuir devant ses efforts, il s’arrête à un parti qui, un mois plus tôt, surtout au moment de son entrée à Bruxelles, aurait produit un effet décisif. Il déclare, par une proclamation datée d’Anvers, le 16 octobre, qu’il se fait le chef de la révolution. « Je me mets, dit-il aux Belges, dans les provinces que je gouverne, à la tête du mouvement qui vous mène vers un état de choses nouveau et stable dont la nationalité fera la force. Voilà le langage de celui qui versa son sang pour l’indépendance de votre sol, et qui vient s’associer a vos efforts pour établir votre nationalité politique. »

Il faut répéter ici ce mot fatal des révolutions, ce mot prononcé en France en 1830 et en 1848 : « Il était trop tard. » Le premier jour, les Belges se contentaient d’un changement de ministère et d’une réforme constitutionnelle. On n’accorde le changement et l’on ne promet la réforme constitutionnelle que quand ils en sont venus à provoquer la séparation administrative des deux parties du royaume. Cette séparation elle-même, on attend pour y consentir que les fautes commises aient fait prononcer la déchéance de la famille régnante. L’abîme est devenu si profond, que la rébellion même du fils qui se