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mémoire du fameux édit d’Henri IV, de cet édit de transition, intervenu au lendemain d’une longue lutte, qui ne fut jamais complètement exécuté, et qui demandait, après Richelieu, dans l’intérêt de l’unité nationale, une réforme et non une révocation. Le vieil esprit des camisards n’est pas éteint dans ces contrées ; mais les volontaires n’y manqueraient pas non plus dans des momens de crise, s’il fallait recomposer les bandes des cadets de la croix. Les odieux et plus récens exploits des Servan et des Trumphemy ont encore ravivé le souvenir des anciennes luttes où furent commis de part et d’autre, sous le masque religieux, tant d’actes abominables qui avaient leur source dans le plus mauvais côté du cœur humain.

Silencieux et enveloppés en temps ordinaire, les sentimens qui découlent de cette douloureuse histoire engendrent une réciproque et continuelle défiance. On dirait que les maisons mêmes se regardent d’un air soupçonneux. Comme une tribu qui a été persécutée, les protestans semblent écouter si un nouveau cri d’alarme ne retentit pas dans le lointain. Les catholiques aiment à se compter. Fiers d’être la souche antique, d’avoir pour eux la tradition ininterrompue de longs siècles, ils semblent ne se résigner que péniblement au principe de la liberté de conscience. Si, malgré cette profonde séparation, les nécessités sociales entraînent, soit parmi les classes ouvrières, soit dans des rangs plus élevés, des rapports journaliers entre les hommes des deux cultes, des incidens sérieux ou futiles n’en viennent pas moins démontrer à tout moment que ces relations n’ont créé aucun lien solide entre les individus. On est prompt à se décréditer de part et d’autre, surtout si le discrédit doit rejaillir sur le culte. On accueille avec la plus étrange crédulité, on propage avec le plus grand empressement les bruits qui peuvent nuire à la religion opposée. Des histoires scandaleuses circulent ainsi en se grossissant de bouche en bouche, et quand on veut remonter à l’origine de ces récits, on s’aperçoit qu’une simple supposition est arrivée peu à peu à une affirmation catégorique. Il suffit encore que, dans un culte, on ait pris une initiative quelconque, pour que dans l’autre on adopte immédiatement le parti contraire. L’antagonisme descend parfois jusqu’à des puérilités auxquelles on attache un intérêt immense[1].

En dehors de l’agitation morale que ces divisions entretiennent, il n’y a point parmi les ouvriers nîmois de mouvement intellectuel bien sérieux. Dans quelque situation qu’on prenne l’homme, son esprit, délicat ou grossier, a toujours besoin d’avoir un aliment : il faut que l’âme se retrouve quelque part. Ainsi, durant les entraînemens de ces

  1. Ces divisions se retrouvent jusque dans la maison de force et de correction de Nîmes, établie, dans l’ancienne citadelle, et qui reçoit des détenus de l’Algérie, de la Corse et de cinq départements du midi. Quatre cultes y sont d’ailleurs en plein exercice : on y comptait naguère 837 détenus catholiques, 145 musulmans, 126 protestans et 30 Israélites.