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Quoique le culte réformé soit largement assis dans les Cévennes, les catholiques y sont beaucoup plus nombreux que les protestons. À Nîmes, ils forment les deux tiers de la population, et, dans les autres villes du même groupe, la supériorité numérique leur appartient encore en une proportion plus considérable. Si certaines communes champêtres, celles du district de L’Avaunage, par exemple, situé entre Anduze et la route de Montpellier, ne comptent guère que des protestans, il y en a beaucoup plus qui sont demeurées tout entières fidèles à la vieille foi catholique. Que les deux cultes soient rapprochés l’un de l’autre ou qu’ils règnent exclusivement dans une commune, une même hostilité les divise, une hostilité profonde, qui passe, à tout moment, du domaine religieux dans le champ des questions temporelles. Vaste foyer de ces animosités, Nîmes est le lieu où on peut le mieux en saisir le véritable aspect.

La majorité des ouvriers nîmois, notamment tous les taffetassiers, sont catholiques, tandis que les chefs de l’industrie et du commerce, les capitalistes en un mot, appartiennent en général à la religion réformée. Longtemps exclus de toutes les fonctions publiques, de toutes les professions dites libérales, les protestans n’avaient eu pour refuge que les carrières industrielles ; plus ils s’élançaient dans cette arène, plus les catholiques étaient portés à s’en éloigner. Qu’arriva-t-il cependant ? Les premiers, recueillant les fruits de leurs efforts, s’enrichissaient par la fabrication et le négoce ; les autres, murés dans des voies très honorables, mais encombrées, et où de trop minces bénéfices ne permettaient pas l’épargne, s’appauvrissaient au contraire à chaque partage de succession. Quand une même famille s’est divisée en deux branches, l’une restée dans le giron de la croyance de ses pères, l’autre enrôlée sous l’étendard des doctrines nouvelles, on remarque presque toujours d’un côté une gêne progressive et de l’autre une richesse croissante.

Cette différence dans l’exercice de l’activité individuelle, et les résultats qui en étaient la suite, ne pouvaient qu’aigrir et développer les divisions existantes. Étrange contraste dans presque toute cette région, les croyances sont assez peu profondes parmi les masses, les habitudes religieuses assez faibles : pourtant les haines de culte à culte restent vivaces et implacables. Ce n’est pas le clergé catholique qui souffle l’irritation dans les esprits : exemplaire dans ses mœurs, charitable dans ses actes, il est dirigé par un prélat qui n’a jamais cherché qu’à pacifier les cœurs. Si quelques ministres protestans se laissaient aller, il y a quelque temps encore, à des opinions exaltées, il n’en serait pas moins également injuste d’attribuer aux enseignemens du temple la cause des animosités religieuses. La population puise son intolérance en elle-même ; sa passion couve sous les cendres toujours brûlantes du passé. Nulle part on n’a mieux gardé la