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du nord du Languedoc. Les filles de cette région aride et pauvre descendent par essaims vers les basses Cévennes pour se louer temporairement. C’est ainsi à peu près que, dans les plaines de la Beauce, au temps de la moisson, des bandes d’ouvriers supplémentaires viennent de la Normandie, de la Champagne ou de la Sologne, aider les riches fermiers de l’Ile de France. À part cet élément mobile, les travailleurs de la soie sont très sédentaires ; ils aiment le sol qui les nourrit et dont ils possèdent souvent quelques parcelles à titre de propriété. Ils ont des habitudes laborieuses, et pourvu qu’il ne s’agisse pas d’une besogne exigeant un grand déploiement de force corporelle, ils consentent sans peine à se mettre à l’œuvre de grand matin et à y rester fort avant dans la soirée. Point de large aisance parmi les familles séricicoles, mais aussi point de misère, sauf les années où la récolte des cocons vient à manquer complètement. On a fort peu d’argent, c’est vrai ; qu’importe cependant, si grâce à la douceur ordinaire de la température, on peut se passer de beaucoup d’objets dont la privation constituerait ailleurs, dans le nord de la France par exemple, une extrême misère ? Les habitations, bâties sur le penchant des coteaux ou au fond de vertes vallées, plaisent par leur situation comme par la propreté avec laquelle on les entretient. Le travail des magnaneries inculque naturellement à ceux qui en sont chargés des idées d’ordre, car toute négligence est cruellement punie par la perte rapide d’insectes délicats qui emportent en mourant l’espoir du travailleur.

Ces habitudes se retrouvent dans l’organisation même des familles cévenoles et prêtent une rare énergie à l’autorité paternelle. Dans ces districts écartés du monde, la déférence que les enfans doivent à ceux qui les ont élevés n’a été que faiblement entamée par le contact des influences extérieures. J’ai vu un exemple frappant de cette hiérarchie domestique, véritable tradition de l’âge patriarcal. Une famille composée du père et de la mère parvenus à un âge avancé, et de six ou sept fils, dont plusieurs étaient mariés, vivait réunie sous un même toit. Quoique chacun des fils eût son état particulier, nul ne travaillait pour son compte ; le gain individuel revenait au père de famille, qui nourrissait et entretenait toute sa lignée. Fidèles à l’exemple paternel, les enfans se montraient ambitieux du travail, et la tribu jouissait d’une aisance qui, dans ces contrées, passait pour de la fortune. Le rôle le plus digne cependant d’attirer l’attention, c’était celui de la mère de famille. C’est à son influence toujours présente et toujours inaperçue, à sa bienveillance inaltérable, naturellement pacifiante, qu’on était redevable en réalité du maintien de l’harmonie dans cette petite nation.

Au sein de leurs solitudes, où les entraves conventionnelles de la