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pas cependant le besoin de s’abandonner à des contemplations chimériques ; leur intelligence vive, mais non téméraire, ne s’intéresse qu’à ce qu’elle comprend bien. On est à Nîmes plus criard, plus pétulant qu’à Lyon ; mais l’humeur locale, naturellement gaie et plaisante, préfère aux déclamations les farces et les saillies.

L’adresse ne manque pas d’ailleurs aux ouvriers nîmois dans leur travail journalier. À une remarquable habileté de mains ils joignent le désir d’améliorer les appareils qu’ils emploient. Quelques-uns d’entre eux ont apporté divers perfectionnemens au métier Jacquart ; mais ne leur demandez pas cette âpreté dans le travail, cette infatigable patience que possèdent d’autres régions, l’Alsace par exemple. L’état moral proprement dit, sans offrir le spectacle d’une dépravation éhontée, n’y saurait non plus être représenté sous des couleurs très favorables. Les fautes précoces y sont assez fréquentes parmi les filles des ateliers. Ce n’est pas qu’on rencontre à Nîmes, comme dans certaines autres cités manufacturières, cette désolante habitude qui entraîne une partie des ouvrières sur la voie publique le soir après leur journée. Non, ici la débauche est prude et le libertinage ombrageux ; mais si le mal est moins visible, il est tout aussi réel.

La seconde branche de la famille laborieuse du groupe des Cévennes, celle qui est vouée à la production de la soie, est plus sincèrement, plus profondément morale que la population groupée à Nîmes ou dans les environs. Le frein de l’opinion, au milieu de cercles étroits où chacun se connaît et où rien ne s’oublie, exerce une puissance extrême sur les esprits. Les fautes sont rares, et s’il se produit quelques scandales, des unions régulières viennent presque toujours les couvrir.

Les ouvriers de cette deuxième catégorie se rattachent de tous côtés à la vie agricole ou pastorale ; la campagne n’est plus pour eux seulement un objet de distraction. S’il y a dans Nîmes une population manufacturière qui aime les champs, ici les masses, lors même qu’elles s’adonnent à des occupations vraiment industrielles, conservent tous les caractères d’une population agricole. Les magnaneries empruntent à l’agriculture des travailleurs que les occupations rurales retiennent bien plus longtemps que la rapide éducation du ver à soie. Les femmes qui peuplent les manufactures de soie sont le plus souvent aussi distraites des campagnes. Le personnel même des ateliers de moulinage, qui forme la partie la plus industrielle de cette population, est par ses relations mêmes constamment ramené au souvenir de la vie champêtre.

Les ouvriers de la soie sont pris pour la plupart sur les lieux de la production ou à une très petite distance. Dans les filatures seulement, comme la population locale ne suffirait pas toujours aux exigences d’un travail précipité, on recrute des bras dans les montagnes