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ateliers d’un genre spécial, comme les usines d’Alais, les travailleurs du pays. Les ouvriers de Nîmes, de même que ceux de Lyon, délaissent volontiers le cabaret pour le café, où ils dépensent peut-être davantage, mais où ils ne se livrent pas à d’abrutissans excès ; Bien qu’ils soient faciles à entraîner par saccades, on peut dire d’eux, en les prenant en masse, qu’ils sont assez sobres et assez économes. L’économie est une vertu que pratiquent volontiers à Nîmes toutes les classes sociales. Dans les rangs populaires, les bonnetiers principalement, malgré la modicité de leur gain, donnent l’exemple de la modération et de la prévoyance.

Le goût de la parure est cependant un trait caractéristique de la population de. Nîmes. Les filles employées par la fabrique placent presque tout leur salaire en articles de toilette. Quant aux hommes, ils poussent parfois à l’excès la pensée de se distinguer entre eux au moyen de leurs vêtemens. L’ouvrier de l’industrie ne veut pas être confondu avec le journalier qu’il place fort au-dessous de lui ; laissant au manœuvre l’humble veste, il prend le paletot ou la redingote. Dans le cercle même de l’industrie manufacturière, on remarque ces mêmes tendances. Les bonnetiers, par exemple, se croient d’un ordre plus élevé que les autres agens de la fabrique, qu’en englobe communément sous le nom de taffetassiers : Ils sont fiers de leur état ; ils vous disent avec orgueil qu’avant 1789, ils avaient le droit de porter l’épée, et, sur la loi d’une tradition dont l’origine est un peu obscure, ils ajoutent que Louis XIV a mis ses royales mains sur un métier de bonneterie. Dans ces souvenirs qui les flattent, dans ces intentions qui les dirigent, comment ne pas voir une idée profondément enracinée de hiérarchie, de classification sociale ? Les doctrines qui, sortant du cercle de l’égalité civile et même de celui de l’égalité politique, visaient naguère si bruyamment à une égalité absolue des conditions, se brisaient aussi bien ici contre les faits inhérens à la vie des masses que contre la raison froidement interrogée.

Les sentimens de fierté que les ouvriers nîmois manifestent les uns envers les autres ne les éloignent pas absolument de certaines habitudes humiliantes qu’on ne remarque pas chez les ouvriers de Lyon. À Nîmes, par exemple, et dans tout le Gard, on sollicite volontiers l’aumône. En arrivant du département des Bouches-du-Rhône, où la mendicité est interdite, on se voit arrêté, dès qu’on a franchi le pont de Beaucaire, par des mendians nombreux, dont quelques-uns ont quitté les ateliers dans des momens de crise et se sont fait de la mendicité une profession nouvelle.

Autre différence avec les ouvriers de l’agglomération lyonnaise : profondément attachés à leurs traditions, les ouvriers nîmois ne sont pas portés à la rêverie. Doués d’une imagination ardente, ils n’éprouvent