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les Cévennes et dans les Garrigues, la population est tenue en haleine jour et nuit, durant l’été, autour des débiles insectes de qui dépend sa propre existence. La production de la soie prête du reste des couleurs singulières à la vie morale des travailleurs qu’elle occupe, comme on en jugera par le tableau de cette vie même, comparée à celle des ouvriers de fabrique.


II. – MOEURS ET CARACTERES DES OUVRIERS CEVENOLS.

On connaît le mouvement industriel dont les centres principaux sont situés dans les Cévennes et les Monts-Garrigues ; tous les ouvriers de cette région de la France vivent dans une bien plus fréquente communication que ceux du nord avec la nature extérieure. Grâce au climat, ils prennent une plus large part de grand air et de soleil ; cependant il se produit dans la région des Cévennes une différence essentielle, sous ce rapport, entre ceux qui manient des métiers dans les villes, soit à leur domicile, soit en atelier, et ceux que le génie de leur travail ou leur demeure isolée dans la campagne associe, en une certaine mesure, à la destinée des cultivateurs. Les variétés de caractères qui découlent de la diversité des situations matérielles sont fidèlement représentées, — d’un côté, par les ouvriers de Nîmes, — de l’autre, par les travailleurs occupés à la production de la soie.

Les premiers toutefois n’ont pas plus que les autres de goût pour une existence murée dans leur maison ; ils y échappent le plus qu’ils peuvent. On les voit, durant la semaine, prendre leurs repas en plein veut, et le soir après le travail se promener quelque temps dans la ville pour jouir d’un ciel presque toujours sans nuages. Leur penchant se manifeste bien plus encore le dimanche, alors que tous les métiers ont cessé de battre. La population laborieuse émigré ce jour-là pour s’en aller sur les collines qui dominent la cité, et où un assez grand nombre de familles ont un pied à terre, une sorte de petite maison de campagne qu’on appelle mazet. Rarement prises en location, ces modestes villas sont en général un patrimoine héréditaire. Comme le terrain rocailleux des Garrigues, sauf en quelques rares cantons où la vigne vient assez bien, n’a presque aucune valeur, la possession d’un mazet ne représente pas un capital de plus de 150 à 400 fr. Les ouvriers qui n’en possèdent point se réunissent à des parens ou à des voisins plus favorisés de la fortune. Ces chalets languedociens n’étant jamais à plus d’un ou deux kilomètres de la cité, on peut y porter aisément les plus jeunes enfans, et on ne laisse personne derrière soi. Chaque domaine se compose de quelques mètres de terre et d’un pavillon étroit bâti à une des extrémités de l’enclos ; une table et quelques sièges grossiers forment à peu près tout l’ameublement de ces cases, qui n’ont pas besoin de cheminées. À force de peines, on