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anéantie, car le ver, sous sa première forme, est incapable de laisser une lignée. C’est le papillon, s’échappant de la chrysalide mystérieuse au bout d’une quinzaine de jours, vers l’heure où le soleil se lève, qui est chargé de la conservation de la race ; mais on ne laisse arriver qu’un petit nombre de vers à cette métamorphose, qui briserait le fil de soie, et on étouffe les chrysalides au moyen d’une forte chaleur. De même que tous les papillons nocturnes à la classe desquels ils appartiennent, les papillons issus du ver à soie ne sont pourvus d’aucun organe destiné à la nutrition, et par conséquent ils ne sauraient vivre longtemps. Aussitôt que la femelle a déposé ses œufs, dont le nombre varie de trois cents à sept cents, et qui écloront à leur tour l’année suivante, la génération éclose se dessèche et dépérit en deux ou trois jours.

De notables progrès ont été accomplis, depuis une vingtaine d’années, dans l’éducation des vers à soie, soit pour la disposition même du local destiné à l’éclosion des œufs, c’est-à-dire des magnaneries, soit pour la nourriture et l’hygiène des chenilles. Dans la pratique ordinaire livrée à l’esprit de routine, on néglige trop souvent les précautions qui sont le mieux indiquées par la science : aussi la déperdition est-elle considérable. Un habile et soigneux éducateur d’Alais nous donnait naguère, sur les lieux mêmes, les chiffres suivans, comme résultant de ses longues observations : une once de graines ou d’oeufs de vers à soie produit, en moyenne, 40 kilog. de cocons et 3 kilog. de soie, tandis qu’on aurait dû obtenir 100 kilog. de cocons et 7 kilog. 1/2 de soie. Dans les magnaneries mal soignées, le déchet est bien plus grand ; on y voit régner plus cruellement les maladies qui déciment les insectes, et dont la plus terrible, connue sous le nom de muscardine, a causé récemment tant de dommages à nos éducateurs. Ces périls attachés à l’éducation des vers, cette incertitude des récoltes, rendent très aléatoire le sort des ouvriers employés à la production de la soie, aussi bien pour la partie agricole que pour la partie manufacturière.

La première opération véritablement industrielle consiste à enlever les fils soyeux enroulés autour de la chrysalide[1]. À son état naturel, la soie n’est pas, comme le coton ou la laine, composée d’une multitude de filamens plus ou moins longs. Elle est produite à l’état de fil par le ver lui-même ; mais pour dévider ces fils, dont la ténuité est extrême, il faut recourir à l’industrie appelée improprement filature de la soie, et aujourd’hui pratiquée en grand dans des ateliers mécaniques. On ne pourrait pas tirer la soie d’un cocon pris isolément,

  1. La chrysalide, qui, dans certaines contrées, sert à la nourriture des animaux et même quelquefois, en chine, à celle des hommes, n’est employée chez nous que comme engrais, après avoir été mélangée avec diverses matières.