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morale, le mouvement intellectuel, tout diffère dans ces classes de province à province. Ainsi l’Alsace et le Forez ne nous ont pas offert des spectacles pareils à ceux de la Flandre ou de la Normandie. Le tableau du midi de la France est empreint de couleurs encore plus singulières et plus inattendues. Ici règnent, puissantes et respectées, des influences absolument inconnues dans le reste du pays. De plus, tandis que les classes ouvrières du nord sont associées à un mouvement industriel déjà ancien et qui se continue, celles du midi dépendent presque partout de fabrications nouvellement acclimatées, ou dont l’essor est récent. Aussi le caractère originel de ces dernières populations n’a-t-il pu être que faiblement entamé encore par les usages que tend à propager la vie manufacturière.

On ne connaît d’ailleurs que fort imparfaitement l’état industriel de nos provinces méridionales, soit parce qu’elles sont éloignées de la capitale et que les moyens de communication y sont assez rares et souvent difficiles, soit parce que le régime du travail s’y présente dans des conditions auxquelles on n’est pas accoutumé. Au lieu d’avoir, comme la Flandre, pour l’écoulement de ses produits des canaux rayonnant en tous sens, la vieille Gaule narbonnaise ne possède que le canal des Deux-Mers, monument admirable sans contredit, mais débouché commercial insuffisant. En fait de chemins de fer, hormis le réseau du Gard, si hardiment conçu, et le tronçon des Bouches-du-Rhône, on en est encore à des projets dont l’exécution est à peine commencée. Rien que quatre ou cinq villes jouissent, sous le ciel brillant du midi, d’une notoriété industrielle plus ou moins éclatante, on n’y aperçoit point d’agglomérations de fabriques comparables à celles de la Flandre ou de l’Alsace. La dissémination des forces manufacturières est, au contraire, un des traits saillans du tableau.

C’est au milieu de ces conditions, souvent défavorables, que l’industrie a cependant étendu son domaine. Ses moyens se sont développés surtout depuis que la conquête de l’Algérie est venue donner une importance nouvelle au bassin de la Méditerranée. On a vu éclater parfois dans les fabriques méridionales cette initiative hardie, cet esprit d’entreprise infatigable qui élargit les horizons et marque les grandes destinées. À côté de ces progrès de la production matérielle, il y a là aussi tous les signes d’un curieux mouvement intellectuel et moral. La diversité qu’on observe dans le domaine du travail se retrouve dans les mœurs et dans les tendances des populations. Les différences de religion, d’idiomes, concourent, avec la dissémination de l’activité industrielle, pour créer une foule de petits centres distincts ayant chacun sa vie propre et sa physionomie originale. Une première difficulté dans l’étude des populations ouvrières du midi,