Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/77

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il vient de convoquer en session extraordinaire. Quant à ses ministres, sans témoigner d’humeur, sans s’expliquer sur les plaintes énumérées à leur charge, il fait observer que la loi fondamentale lui laisse le libre choix de ses ministres, et qu’il tient trop à l’honneur de sa couronne pour paraître céder « comme celui à qui l’on demande quelque chose le pistolet sur la gorge. » Le lendemain, le prince d’Orange prend la résolution courageuse d’entrer à Bruxelles avec quelques officiers seulement. La garde bourgeoise se porte au-devant de lui, les honneurs militaires lui sont rendus, et le cortège se dirige vers l’hôtel de ville, mais on engage le prince à n’y point monter : on lui fait pressentir qu’un danger sérieux l’y attend. Il s’inquiète, court des chances bien autrement graves en se jetant au milieu du peuple révolté, et gagne à toute bride le haut de la ville et son hôtel. Quel était ce danger ? M. Van der Duyn repousse l’idée que la personne du prince fût menacée, et dit tenir de bonne part qu’on avait seulement formé le dessein de l’engager, et au besoin de le forcer à signer la séparation, par conséquent l’indépendance de la Belgique, dont le gouvernement lui aurait été remis. Quelques mois après, il parut regretter de s’être alors montré « fils respectueux, » comme le disait, non sans amertume, la princesse d’Orange. En effet, dans une société à Londres, où il se trouvait avec M. de Talleyrand, on vint à parler des chances qu’il avait eues, particulièrement lors de son entrée à Bruxelles, de porter la couronne belge. Le diplomate français témoigna son étonnement de ce que le prince n’avait pas profité de cette occasion ; celui-ci répliqua : « Mais qu’aurait-on dit et fait en France ? — Nous, répondit M. de Talleyrand, nous aurions crié comme de beaux diables ; mais vous, monseigneur, n’en auriez pas moins été roi. »

Le prince d’Orange, rentré dans son palais, y avait réuni une commission pour délibérer sur les mesures propres à ramener le calme et la confiance. Les personnages les plus considérables par le rang ou l’influence sur l’opinion en faisaient partie. La commission demanda unanimement la séparation administrative de la Belgique et de la Hollande. Les exigences croissaient ainsi chaque jour. « Mais alors, disait le prince, promettez-vous de rester fidèles à la dynastie ? — Oui, nous le jurons, répondaient les assistans. — Et si les Français entraient en Belgique, vous joindriez-vous à eux ? — Non, non. — Marcherez-vous donc avec moi pour notre défense ? — Oui, jusqu’à la mort. » De son côté, la régence de Bruxelles avait formé au-dessus d’elle une commission de sûreté générale, si parmi les pouvoirs dont elle l’avait investie, se trouvait au premier rang celui d’assurer le maintien de la dynastie. La cause des Nassau n’était donc pas encore perdue en Belgique. Pendant que ces tentatives de rapprochement