Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que le prince-régent avait blessée dans sa dignité de mère en insinuant aux envoyés hollandais de ne lui rendre aucun devoir et de ne pas lui demander, ne fût-ce que pour la forme, son consentement au mariage, était mécontente, irritée, et résolue à traverser les projets de son mari. Rien ne fut donc épargné pour les faire échouer. On circonvint la princesse Charlotte ; on l’inquiéta sur les suites d’une expatriation qui pourrait compromettre ses droits à la succession ; on l’associa aux griefs d’une mère qu’elle chérissait. Le ridicule, la caricature, cette arme familière à l’opposition chez nos voisins, tout fut mis en œuvre pour que l’union projetée devint odieuse à une jeune fille fière, sensible et jalouse de ses droits. Pendant ces démêlés, arriva tout à coup à Londres la grande-duchesse Catherine de Russie, veuve du duc d’Oldenbourg, envoyée selon toute apparence pour créer de nouveaux obstacles. Pleine d’esprit, de finesse et d’astuce moscovite, elle connut bientôt tous les personnages qu’elle devait envelopper dans ses filets : le prince-régent, qui la craignait et la détestait ; la princesse Charlotte, qui avait plus de caractère et d’instruction que d’esprit ; le prince d’Orange enfin, peu épris d’une jeune personne qui avait, dit M. Van der Duyn, « l’air d’un garçon mutin en cotillon, » et songeant bien plus à chercher le plaisir dans les sociétés de Londres qu’à courtiser celle qu’on lui destinait pour épouse. La duchesse eut bientôt brouillé les cartes. Elle jeta le trouble dans l’esprit de la princesse Charlotte en irritant ses sentimens les plus secrets : son ambition, qui avait tout à craindre de l’alliance d’un prince destiné à régner de son côté et par conséquent peu disposé à se contenter du simple rôle de mari de la reine ; son orgueil, qui devait souffrir du peu d’empressement dont elle se voyait l’objet ; ses ressentimens de fille enfin. Peut-être fut-elle secondée par le penchant que commençait à lui inspirer le prince Léopold de Saxe-Cobourg, à cette époque à Londres, dans l’état-major d’un des souverains, et qui s’y faisait remarquer par ses avantages extérieurs, sa tournure militaire, un esprit sérieux et réfléchi qui contrastait avec la légèreté et l’inconsistance du prince d’Orange. Quoi qu’il en soit, au moment de la rédaction des articles, lorsqu’on était tombé d’accord sur le séjour des futurs époux tantôt à Londres et tantôt à La Haye, et lorsqu’on s’y attendait le moins, la princesse Charlotte s’échappa furtivement du palais du prince-régent, se réfugia chez sa mère, et déclara elle-même au prince d’Orange qu’il n’aurait jamais sa main. Ainsi deux femmes, dirigées, l’une par des rivalités de cour, l’autre par son orgueil blessé, trompaient les calculs de la politique, déjouaient les finesses de la diplomatie et renversaient les résolutions de deux souverains, et Guillaume eut lieu de regretter que ses lenteurs et ses prétentions exagérées, laissant à l’intrigue le loisir de se