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fausseté qui rendait avec lui les rapporte insupportables. Il se croyait envié de son supérieur officiel, — et persuadé qu’à lui seul était dû le succès de leur commune administration, puisqu’il était le véritable auteur de la paix, il songeait à lui disputer le premier rang. Du sein de l’assemblée, où son éloquence était sans rivale, il se jugeait déjà aussi puissant et certainement plus redoutable qu’un premier ministre cantonné dans l’autre chambre, où ne prévalait pas son esprit. « Il siérait mal à l’amitié que je professe pour vous, écrivait-il le 23 juillet à lord Strafford, de ne pas vous confier naturellement ce qui se passe dans mon cœur, et de ne pas vous avouer ce que je n’avouerais à nul autre : c’est que ma promotion a été pour moi une mortification, dans la chambre des communes, je puis dire, que j’étais à la tête des affaires, et j’aurais continué à m’y maintenir avec ou sans la cour. Il n’y avait donc rien qui pût flatter mon ambition à me faire sortir de là, si l’on ne me donnait le titre qui a été pendant beaucoup d’années dans ma famille, et qui n’a fait retour à la couronne qu’il y a un an, par la mort du dernier aîné de ma maison… Me créer pair n’était pas une faveur, quand on a été forcé d’en créer tant d’autres pour avoir la majorité, et comme Elle a eu besoin de mes services dans la chambre des communes pendant la session, elle ne pouvait moins faire que de me créer vicomte. Sans cela, j’aurais été précédé par des gens que je n’étais pas né pour suivre… Je vous avoue que de ma vie je n’ai été aussi indigné, et le seul motif qui m’ait empêché de me porter à des extrémités est ce qui aurait dû engager quelqu’un à en mieux user avec moi. Je savais que la moindre rupture entre moi et le lord trésorier donnerait du courage à nos ennemis communs. » Ici perce le regret de n’avoir pas au moins obtenu un titre égal à celui d’Oxford, d’autant que Powlet Saint-John était mort au mois d’octobre précédent comte de Bolingbroke. On semblait donc avoir eu l’intention de mettre entre le trésorier et le secrétaire d’état une inégalité que la reine marqua davantage encore en donnant au premier seul l’ordre de la Jarretière. On peut dire que de cette époque, il y eut rupture entre les deux chefs du même parti les deux membres du même cabinet, et telle fut leur mutuelle inimitié, qu’ils y sacrifièrent désormais l’un et l’autre non-seulement le bien de l’état, mais le succès de leurs propres opérations, et jusqu’à l’intérêt de leur fortune et de leur sûreté. Cette division fut la ruine de leur parti, qui n’a pas mis moins de soixante ans à s’en relever.

Il fallait cependant conclure la paix générale ; elle n’existait encore qu’en projet. L’Angleterre en avait posé les bases, et par la suspension d’armes, elle avait de son chef pris le rôle de médiatrice. Le procédé n’était ni courtois ni loyal. Abandonner en pleine guerre ses alliés, c’était porter à la fois le trouble dans les négociations et dans