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de son ministre ; il n’avait pas été moins actif à se préparer une majorité qui osât braver le mécontentement public, car les fonds baissèrent, chose étrange, à l’annonce d’une paix. Il est vrai que bien des espérances populaires étaient déçues, et l’orgueil national mal satisfait. L’adresse de remerciemens n’en fut pas moins aux communes votée par acclamation, et, malgré l’opposition de Godolphin et de Cowper, les pairs ne purent résister à l’exemple. Seulement une protestation très forte contre le rejet d’un amendement de Cowper ne fut rayée du registre qu’à la majorité de 90 voix contre 64. Ce fut là le vote décisif. Le 31 juin, la reine prorogea le parlement par un discours habilement fait, où elle l’engageait au-delà des termes des adresses qu’il avait votées. On crut reconnaître dans ce discours la touche de Saint-John, et l’on observa que tant qu’il fut ministre, les harangues royales, auxquelles il employait la plume même de Swift à défaut de la sienne, furent remarquables par une rédaction supérieure.

L’impulsion était donnée, et désormais irrésistible. Quelle que fût la paix, elle serait accueillie, et l’on souscrirait aux stipulations jugées inacceptables peu de mois auparavant. Dès lors on marcha d’un pas rapide au dénoûment. Une suspension d’armes fut consentie entre la France et l’Angleterre ; le duc d’Ormond signifia aux confédérés qu’il cessait toute coopération, et le brigadier Hill entra dans Dunkerque. Le prince Eugène, qui avait pris Le Quesnoy, tenait la campagne ; mais Villars gagnait sur le comte d’Albemarle la bataille de Denain, et Saint-John était créé pair, baron Saint-John de Lidyard-Tregoze dans le Wïltshire, et vicomte Bolingbroke. C’est le nom qui a passé à la postérité. Par ces titres, il réunissait les honneurs des deux branches de sa famille, l’une royaliste, l’autre parlementaire au temps de Charles Ier, et sa prétention était de concilier ces deux esprits dans sa personne et dans sa conduite. Comme il n’avait pas d’enfans, il fut décrété que ses honneurs seraient réversibles à son décès sur la tête de son père, qui vivait encore, et sur celle des enfans de son père.

Ce père, sir Henry Saint-John, était un personnage original, d’une réputation équivoque, et qui dans sa jeunesse avait eu besoin de lettres d’abolition pour avoir tué dans un souper un des convives. Quand son fils fut nommé vicomte : « Ah ! lui dit-il, Harry, j’ai toujours dit que vous seriez pendu : mais à présent je crois que vous serez décapité. » Cette pairie, à laquelle se joignit la lieutenance du comté d’Essex, semblait cependant élever selon ses vœux la fortune de Saint-John ; mais à son ancien dévouement pour le comte d’Oxford avait succédé la défiance, puis le mépris, puis l’aversion. Il le trouvait incapable, irrésolu et inactif, si ce n’est pour l’intrigue, et d’une