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est arrivé au bout d’une heure, et ils sont allés à leurs affaires. Je suis sorti et retourné chez Mme Masham ; mais elle avait du monde, et je n’ai pas voulu rester.

« Voilà une longue gazette, et d’un jour qui peut produire de grands changemens et exposer l’Angleterre à sa ruine. Les whigs sont tout triomphans. Ils prédisaient l’événement, mais nous pensions que c’était une vanterie. Bien plus, ils annoncent que le parlement sera dissous avant Noël, et cela pourrait bien être. Tout est l’ouvrage de votre d… duchesse de Somerset. Je les ai avertis il y a neuf mois, et cent fois depuis. Le secrétaire s’en est toujours méfié. J’ai dit au lord trésorier que j’aurais sur lui un avantage, car il y perdrait sa tête, et je ne serais que pendu ; ainsi mon corps serait tout entier dans son tombeau.

« Le 9. — J’étais ce matin avec le secrétaire : nous sommes tous les deux d’avis que la reine est de mauvaise foi. Je lui ai dit ce que j’avais appris, et il l’a confirmé par d’autres circonstances. Je suis ensuite allé chez mon ami Lewis, qui avait envoyé chez moi. Il ne parle que de se retirer dans son bien du pays de Galles ; il m’a donné ses raisons de croire que tout est arrangé entre la reine et les whigs ; il entend dire que lord Somers sera trésorier, et croit que, plutôt que de renvoyer la duchesse de Somerset, elle dissoudra le parlement, et en aura un whig ; il suffira de manœuvrer les élections. Les affaires sont maintenant dans la crise, et un jour ou deux en décideront. Je l’ai prié de demander au lord trésorier, aussitôt qu’il croira le changement résolu, de m’envoyer à l’étranger comme secrétaire de légation, ici on là, quelque part où je puisse rester jusqu’à ce que les nouveaux ministres me révoquent, et alors je serai malade cinq ou six mois, jusqu’à ce que la bourrasque soit passée). J’espère qu’il me l’accordera, car je ne me soucierais pas de rester à la discrétion de mes ennemis tout le temps que leur colère sera encore fraîche. J’ai dîné aujourd’hui avec le secrétaire. Il affecte la gaieté, et semble espérer que tout marchera comme il faut. Je l’ai prié à part après le dîner, je lui ai rappelé comment je l’avais servi, que je n’avais pas réclamé de récompense, mais que je croyais pouvoir lui demander sûreté pour ma personne, et je lui ai dit alors mon désir d’être envoyé à l’étranger avant le changement. Il m’a embrassé et m’a juré qu’il prendrait soin de moi autant que de lui-même, etc. ; mais il m’a dit d’avoir bon courage, car, dans deux ou trois jours, la sagesse de mylord trésorier apparaîtrait plus grande que jamais ; il avait à dessein souffert tout ce qui est arrivé, et pris ses mesures pour faire tourner le tout à notre avantage. J’ai répondu : « Dieu le veuille ! » Mais je n’en ai pas cru une syllabe, et autant que j’en puis juger, la partie est perdue…

« 11 décembre. — Je suis allé entre deux et trois voir Mme Masham. Tandis que j’étais là, elle, a passé dans sa chambre à coucher pour essayer un jupon. Le lord trésorier est venu pour la voir, et me trouvant dans la première pièce, il s’est mis à se moquer de moi et m’a dit : « Vous auriez mieux fait de me tenir compagnie qu’à un pauvre garçon comme Lewis, qui n’a pas l’âme d’un poulet ni le cœur d’une mouche. » Il est entré alors chez Mme Masham, et en revenant, il lui a demandé de me permettre de le suivre pour aller dîner chez lui. Il m’a demandé à moi si je n’avais pas peur d’être vu avec lui. Je lui ai répondu que de ma vie le lord trésorier n’avait eu de valeur