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ou nulles toutes les concessions faites ou promises à la France. On hésitait pourtant à attaquer un général dont la popularité altérée n’était pas détruite. Retranché au soin de la chambre des lords, il s’y croyait inviolable. Le ministère, entamé par Nottingham près de la haute église, à la cour par Somerset, se sentait ébranlé. Une rupture avait éclaté entre la duchesse de Somerset et mistress Masham, et la reine n’avait pas abandonné sa grande-maîtresse. En vain Swift multipliait-il les écrits en prose et en vers, et s’épuisait-il en moqueries sur les cheveux rouges de la duchesse. Les feuilles à deux sous, connues sous le nom de papiers de Grub-Street, renaissaient incessamment sous la plume du caustique docteur ; mais, si elles divertissaient le public, elles ne le convertissaient pas. Les épigrammes et les pointes contre Dismal, qui n’était whig que, parce qu’il était not-in-game (parce qu’il n’était pas de la partie), contre Carrots [les carottes), qui sont in summer set (plantées en été), contre Avaro, Harry, Hocus, le général Crassus et tous les surnoms de Marlborough, amusaient plus l’écrivain qu’elles ne servaient la cause. La situation devenait inquiétante. « Les ministres, dit Swift, ont jadis tant prêché à la reine le danger de se laisser gouverner comme elle faisait sous l’ancien ministère, qu’aujourd’hui elle ne suit que trop leurs maximes à cet égard ; elle est jalouse de ceux qui l’ont délivrée du joug. » Saint-John était en froid avec elle, il croyait lui avoir déplu en faisant attaquer les Somerset. Il ne se trouvait pas suffisamment soutenu. Le faible Dartmouth commençait à dire que la reine pouvait bien avoir son parti pris et donné parole aux whigs. Des amis conseillaient aux ministres d’offrir leur démission. Aux avertissemens, aux présages, lord Oxford répondait : « Tout ira bien ; » mais on l’accusait d’imprévoyance : il n’avait pas assez pris soin de prévenir les scissions, de garder ou de regagner les amitiés chancelantes. Que faisait-il de tout ce patronage (la distribution des emplois et des faveurs), dont il ne laissait aucune part à ses collègues ? Il s’était occupé de sa santé, altérée pendant assez longtemps, surtout du mariage projeté, de son fils avec l’héritière des ducs de Newcastle, et Saint-John lui a reproché plus tard de n’avoir eu d’autre rêve que de faire entrer ce duché vacant dans sa famille. On se plaignait de la négligence de lord Oxford : mais au fond il hésitait, peut-être, il se ménageait du moins. S’il n’eût été au pouvoir, il aurait certainement marché avec les tories hanovriens. C’était là sa véritable opinion. Le jour de l’amendement de lord Nottingham, il n’avait pas même paru à la chambre. Le Journal de Swift à Stella, dans un extrait de quelque étendue, décrira au vrai cette situation :

« 8 décembre 1771 (v. s.). — J’ai vu ce matin le secrétaire (Saint-John) et nous avons causé à fond des affaires. Il espérait qu’aujourd’hui, lorsque le