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l’avènement de l’archiduc à l’empire, la question espagnole avait changé de face. Ainsi les esprits étaient préparés à tolérer les négociations et à les deviner sans les connaître. Entamées à l’insu des alliés, révélées seulement aux Hollandais par une demi-confidence, propres à devenir les préliminaires d’une paix séparée, elles ne pouvaient être avouées par le cabinet, et elles restèrent clandestines plutôt qu’ignorées. Prior n’était venu chercher en F’rance que des explications et des réponses. Il n’avait aucun pouvoir pour traiter. Louis XIV jugea utile de transporter la négociation à Londres, et l’on y vit arriver le 18 août un Français, député de Rouen au conseil de commerce, et qui se nommait Mesnager, plénipotentiaire occulte, accompagné de l’abbé Gautier et, dit-on, de l’abbé Dubois, qui aurait ainsi préludé à sa future politique de l’alliance anglaise. On eut grand besoin de cacher leur voyage, et ils entrèrent aussitôt en pourparlers. Les conférences se tenaient en maison tierce ; elles n’étaient point officielles. Lord Oxford, le duc de Shrewsbury et les deux secrétaires d’état Dartmouth et Saint-John y assistaient. Prior servait souvent d’intermédiaire. Quand on fut d’accord sur les points principaux, il fallut conclure. Les ministres anglais étaient sans pouvoirs. Saint-John écrivit en hâte a la reine, qui envoya de Windsor un ordre non contre-signe par un ministre, non scellé du grand sceau, et en vertu de cet acte informe les deux secrétaires d’état signèrent les bases préliminaires d’un traité éventuel. Tout cela était irrégulier et hasardeux. Contrairement aux traités, on négociait en dehors et à l’insu des alliés. Contrairement aux lois, on négociait avec un gouvernement qui donnait asile aux Stuarts. On se mettait à la discrétion de Louis XIV, avec lequel on entrait en connivence secrète ; car si l’on soutenait que lui seul était engagé, Mesnager déclarait que la France ne l’était par ces préliminaires que dans le cas de la conclusion d’une paix générale. Elle demeurait donc maîtresse, si elle divulguait ces transactions, de porter le trouble et la division dans la grande alliance. Saint-John seul avait tout bravé pour atteindre son but. Oxford lui-même s’était ménagé, et Shrewsbury, prévoyant et scrupuleux, n’avait pas caché ses hésitations et sa réserve. On ne pouvait cependant prolonger le mystère. Il fallut donner communication des préliminaires convenus au comte Gallas, ministre de l’empire, qui les fit insérer dans un journal. La reine lui interdit de paraître à la cour ; mais les nouvelles conventions, ainsi rendues publiques, ne satisfirent pas l’opinion. On y voyait bien que Louis XIV reconnaissait la succession protestante, qu’il garantissait que les deux couronnes de France et d’Espagne ne seraient jamais réunies sur la même tête, qu’il promettait la démolition des ouvrages militaires et maritimes de Dunkerque ; mais tout se bornait en faveur des