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de la chambre des communes, une conversation admirable, un bon naturel, de bonnes manières ; généreux et méprisant l’argent. Son unique défaut est de prendre avec ses amis un ton plaintif, comme s’il était accablé du fardeau des affaires, ce qui a certain air d’affectation, et il tâche trop de mêler l’élégant gentilhomme et l’homme de plaisir avec l’homme d’affaires. Que peut-il y avoir en lui de vérité et de sincérité ? Je ne sais. Il n’a que trente-deux ans, et il a été plus d’un an secrétaire d’état. »

Nous accorderons à Swift que, par le talent de l’orateur et la sagacité du diplomate, Saint-John était à la hauteur de ses fonctions. Ce n’est pas l’habileté qui manquait à sa politique, c’est plutôt sa politique qui aurait compromis son habileté. Rien pour les affaires ne vaut un bon jugement dans une âme honnête. Il y avait dans la conduite d’un ministre, tory par calcul et par goût plus que par principes, homme de parti par ses passions plus que par ses doctrines, obligé par position de défendre un établissement révolutionnaire en s’aidant des ennemis de la révolution, engagé d’honneur à la cause de la succession protestante, sans la résolution de rompre à jamais avec la succession opposée, appelé à faire la guerre en désirant la paix, à rechercher la paix sans faiblir devant l’ennemi, sans trahir des alliés, condamné à se garder de la majorité qui le soutenait, du général qui servait sa diplomatie, du chef même du ministère qui l’avait adoptée ; il y avait, dis-je, dans une telle situation une fausseté et une complication qui défiait toute la dextérité du plus adroit, toute la prudence du plus sage, tout le courage du plus intrépide.


X

Cependant il avait eu le mérite et le bonheur de s’attacher, dans toute cette confusion, à une idée simple, celle de la paix. Il croyait sincèrement que la paix était un grand bien, et que la paix était possible. Consciencieux sur ce point, lui qui ne l’était guère dans le reste, il se soutint par là, et crut que ce seul succès répondrait à tout. Si l’on ne juge ni ses motifs, ni ses moyens, on reconnaîtra que là était toute la moralité et toute la puissance de sa politique.

Dès l’année 1706, la France avait désiré la paix. Elle avait essayé de plusieurs médiateurs. Encore saignante du coup reçu à Ramillies, elle offrait des conditions modestes, l’abandon pour le duc d’Anjou des royaumes d’Espagne et des Indes, ou de toutes possessions en Italie, la concession à la Hollande d’une frontière protégée par cette ligne de places fortes qu’on appelait la barrière ; mais l’Angleterre et la Hollande suspectaient ou calomniaient la sincérité de