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de la guerre ou de la paix n’était pas résolue. Il y avait entre eux un secret qui les unissait plus que ne les divisaient leurs caractères, c’était leur participation commune aux menées d’une diplomatie occulte qui sera bientôt expliquée. L’un ne pouvait éclater contre l’autre, qu’il ne sût à quoi s’en tenir sur le succès de leur périlleuse entreprise, et, sans mutuelle confiance, ils marchaient avec un accord apparent qui ne trompait pas la malveillance clairvoyante de l’opposition, mais qui suffisait pour rendre vains tous ses efforts. Swift, qui avait la confiance de tous deux, s’appliquait à éclaircir les malentendus, à prévenir les dissidences. Tous deux se disputaient sa conversation et son amitié. C’était à qui, lorsqu’on allait à Windsor, le mènerait avec lui, et il trouvait ces voyages charmans, quoiqu’il y constatât d’ordinaire que la reine ne le connaissait pas, et que leur protection avait peu avancé ses affaires auprès d’elle. Il se lia dans ce temps davantage avec Saint-John, qui, plus inquiet et plus irritable, avait besoin de paroles calmantes et de sages conseils. Oxford comptait sur le temps pour tout arranger. Il ne s’alarmait pas aisément, et lorsque Swift cherchait à éveiller sa sollicitude pour quelque affaire, même pour les siennes, il lui fermait la bouche avec ces paroles françaises : « Laissez faire à don Antoine. » Saint-John, quoiqu’il contînt ses impressions propres, ne dissimulait pas qu’il eût autrement conduit les choses, s’il avait été le maître ; mais il ne l’était point : la reine ne le trouvait point assez animé contre les Marlborough. Mistress Masham n’avait de vraies conférences politiques qu’avec Oxford, au point qu’on se croyait obligé, pour détourner la médisance, de faire remarquer qu’elle n’était pas jolie. Saint-John cherchait à s’assurer de plus en plus le zèle de ceux que négligeait son chef. Il emmenait Swift à la campagne de Buckleberry, terre en Berkshire, qu’il tenait de sa femme, et s’y faisait admirer du docteur pour son aisance avec les gens de province et sa transformation en propriétaire rural. Swift prenait goût à voir se développer devant lui cette nature riche et flexible d’un gentilhomme propre à tout, et on lit, à quelques pages de distance, dans son journal, les lignes suivantes : « Lord Radnor et moi, nous nous promenions dans le mail ce soir, et M. le secrétaire nous rencontra, fit un tour ou deux, puis il s’échappa, et nous avons cru tous les deux que c’était pour aller ramasser quelque femme. » - « Je suis allé de bonne heure aujourd’hui chez le secrétaire, mais il était sorti pour faire ses dévotions et recevoir le sacrement. Bien des roués en font autant. Ce n’est point affaire de piété, mais de fonctions, pour se conformer à l’acte du parlement. » - « Je regarde Saint-John comme le plus grand jeune homme que j’aie connu. Esprit, capacité, beauté, promptitude à saisir, beaucoup d’instruction et un goût excellent ; le meilleur orateur