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cabinet, dont Rochester, Harley et Saint-John pouvaient, à divers titres, être regardes comme les chefs.

Tous les yeux étaient fixés sur les élections. Elles furent moins défavorables aux whigs qu’on ne devait s’y attendre. Les deux partis revinrent en force à peu près égale. C’était, dit-on, le vœu secret de Harley. Il n’aimait pas les majorités qu’il faut suivre sans regarder derrière soi. La servitude des partis compromet ceux qui la subissent, et il cherchait à s’y soustraire en les opposant les uns aux autres. Plus habile à les jouer qu’à les maîtriser, il aurait voulu contenir les animosités des vainqueurs, et surtout contre Marlborough. Du moins désirait-il rester étranger à tout ce qui serait tenté contre lui. « Pour ce qui regarde le grand homme, écrivait Saint-John, sa position future dépendra de lui-même. Les choses avaient été portées si loin, que nous ne reviendrons jamais à un pareil esclavage. Il faut qu’il abandonne ceux qui l’ont fait agir jusqu’à présent. Il est sage sans doute, et j’ose dire que c’est en dépit de son propre jugement qu’il s’est laissé entraîner dans les mesures violentes de cette faction ; mais je ne répondrais pas qu’il ne se laissât entraîner encore. » En lui annonçant la formation du ministère, la reine avait prévenu le général en chef qu’il ne devait pas compter sur les remerciemens accoutumés du parlement. Du premier coup d’œil, l’homme d’état avait jugé sa situation. Dans une lettre très remarquable qu’il écrit à la duchesse, il annonce une patience à toute épreuve tant qu’il pourra servir, et il compte sur ses services pour prévenir ou grandir sa retraite. « Je sais bien, dit-il, qu’il faudra souffrir deux ou trois mois. » Contrarié même dans son commandement, il se résigna, ne voulant pas être accusé de quitter son armée par dépit politique et de préférer le pouvoir à la gloire. Fort du cordial appui du prince Eugène et de la confiance des Hollandais, il espérait encore s’imposer au nom de la grande alliance et du droit de la victoire. À son retour en Angleterre, il dissimula tout ressentiment ; il évita les hommages du public, reçut les ministres avec courtoisie, et quand on le sondait pour l’attirer aux tories, qu’on essayait de le placer entre une rupture avec les whigs et le danger d’une accusation parlementaire, il répondait avec un calme impénétrable qu’il n’était d’aucun parti et ne servait que la reine et l’état. Anne entendit de lui le même langage. Dans une audience qu’il eut d’elle le 17 janvier 1711, il lui porta une lettre où la duchesse exprimait sa douleur d’être séparée de sa maîtresse. Il essaya d’obtenir que le moment où elle quitterait la cour fût ajourné. La reine ne répondit qu’en demandant qu’elle lui renvoyât la clé d’or. Lady Marlborough la lui renvoya le lendemain avec sa démission de tous ses emplois, hors le gouvernement du parc de Windsor qu’elle avait pour un certain nombre d’années. La duchesse