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la condition tacite à laquelle, par la médiation d’Addison et de Swift, il avait gardé sa place. Mais attendons-nous à le voir bientôt briser son dernier lien avec le gouvernement.

Tandis que le Tattler en effet se maintenait encore sur la réserve, Arthur Maynvering publiait le Mélange (the Medley), recueil auquel contribua Steele, et plus tard Oldmixon et Ridpath. L’esprit d’opposition s’y montra dans une polémique plus ouverte, et le gouvernement, comme on le voit, avait besoin d’être défendu. Il avait bien pour gazette le Post-Boy (le Postillon), auquel répondait le Flying Post (le Courrier), mais on y trouvait plus de faits que d’idées. La Répétition (the Rehearsal), fondée par Charles Leslie, n’était qu’un recueil de dialogues injurieux, dans le genre de l’Observateur, et plaidait violemment la cause de l’intolérance religieuse. C’eût été un défenseur compromettant pour un ministère, et d’ailleurs ce journal ne s’était pas soutenu. On songea donc à en créer un nouveau, et le 3 août 1710 l’Examiner parut. C’est Saint-John qui en eut la pensée. On assure que c’est la première fois qu’un journal de discussion politique se publia sous les auspices du gouvernement, et les libertés que celui-ci prit dès son début contribuèrent à la liberté de tous. La discussion devint plus franche, plus directe ; beaucoup de détours et de ménagemens en usage furent abandonnés. Saint-John, qui contribua à la rédaction des premiers numéros, plaça tout de suite l’Examiner sur un pied de vive polémique. Une lettre à l’éditeur, où il attaque rudement la duchesse de Marlborough pour avoir travaillé contre la formation du ministère, provoqua les réponses d’Addison et de lord Cowper. Ce dernier écrivit à Isaac Bickerstaff, le rédacteur du Tattler, une lettre que nous pouvons lire encore, et il est curieux de voir comment, sous le masque de l’anonyme, un chancelier sortant de charge et un secrétaire d’état en exercice dirigent l’un contre l’autre l’arme de la presse. Saint-John abandonna bientôt la plume aux rédacteurs ordinaires. Matthew Prior, le poète, secrétaire d’ambassade à Ryswick, et le docteur Atterbury, théologien absolutiste, prédicateur habile, destiné à l’épiscopat. Tous deux étaient dans l’intimité de Saint-John, mais il est douteux que l’Examiner eût produit une sensation durable, si un combattant beaucoup plus redoutable n’en eût fait son instrument de guerre.

Jonathan Swift avait alors quarante-trois ans. D’une famille anglaise, il était né en Irlande, où il tenait le modeste vicariat de Larascore, dans le diocèse de Meath. Sa réputation n’était pas encore très étendue, quoique ses talens fussent fort appréciés des connaisseurs. Le fameux Conte du Tonneau, qu’il n’avoua jamais, avait paru sans nom d’auteur. Une sorte de plaisanterie sérieuse, le mélange d’ironie, de critique et de fantaisie qui plaît tant aux Anglais, la vivacité