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le dit Saint-Simon, « à l’appât des détails qui sont la curiosité, les découvertes, tenir les gens en bride, briller aisément à ses propres yeux et à ceux des autres par une intelligence qui perce tant de différentes parties, le plaisir de paraître avec peu de peines, de sentir qu’on est maître et qu’on n’a qu’à commander, au lieu que le grand vous commande, oblige aux réflexions, aux combinaisons, à la recherche et à la conduite des moyens, occupe tout l’esprit sans l’amuser et fait sentir l’impuissance de l’autorité qui humilie au lieu de flatter. » On peut juger aisément qu’avec ces dispositions et la conscience de ses bonnes intentions, le roi Guillaume tenait peu de compte de l’opinion publique, il n’y croyait même pas. « L’opinion publique, disait-il un jour à M. Van der Duyn ; qu’est-ce que cela ? Chacun a son opinion, et elle varie selon l’intérêt du moment. » Il ajoutait une autre fois « qu’il s’en moquait comme de Colin Tampon, » et trouvait qu’il ne valait pas la peine de l’éclairer. Le dédain de l’opinion est salutaire quand il est réfléchi et prudent ; mais il nous a été donné de voir où il peut conduire rois et ministres, quand il est aveugle et systématique, et Guillaume lui-même en fournit un exemple.

Quant à ses tendances politiques, elles étaient libérales, quoique ses actes de roi le fussent peu. En 1814, le baron de Vincent, gouverneur-général des Pays-Bas pour les hauts alliés, en lui remettant ces provinces, avait dit de lui après une longue conversation : « Il est trop libéral pour être roi et trop roi pour être libéral. » À la même époque, au moment de réunir l’assemblée des notables, il disait à M. de Capellen : « Il me tarde infiniment de voir la souveraineté dont je me trouve investi modifiée par une constitution sage et libérale. Élevé, comme je l’ai été, dans les principes républicains et stathoudériens, je ne m’arrange pas de ce pouvoir absolu, dont j’espère bientôt partager la responsabilité avec les autres pouvoirs dans l’état. » Mais le roi l’avait emporté sur le républicain, et cette responsabilité qu’il affectait de vouloir partager, il l’avait assumée tout entière dans la loi fondamentale, violemment imposée aux belges. Cependant il n’était pas assez étranger aux idées nouvelles pour ne pas rester, dans une certaine mesure, l’homme de son temps. Il tenait peu de compte des distinctions de naissance, et il lui arriva plus d’une fois, notamment dans le choix des fonctionnaires, d’indisposer l’oligarchie républicaine des provinces du nord et la classe nobiliaire de la Belgique. Il s’entendait mal aux ménagemens personnels et aux compromis qu’impose le gouvernement constitutionnel. Après avoir admis dans la constitution des délibérations publiques, il s’étonnait et s’irritait quand ses projets de loi avaient éprouvé de l’opposition, et montrait de l’humeur à ceux dont le vole avait été