Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/702

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Voltaire eut seulement à combattre des tracasseries accidentelles, et il ne cessa de trouver des auxiliaires au sein du pouvoir lui-même. Il avait perdu M. de Maurepas, mais il avait conquis M. de Calonne et surtout le frère du ministre, l’abbé de Calonne, auquel il donnait de très bons dîners, et qui en revanche lui prêtait main-forte pour faciliter l’introduction et la circulation du Voltaire.


« J’ai l’honneur de vous adresser, monsieur l’abbé, lui écrit Beaumarchais en septembre 1786, une nouvelle lettre que nous recevons de Kehl, avec la copie d’une lettre de M. le garde des sceaux aux fermiers généraux, et celle d’une lettre des fermiers à leur directeur de Strasbourg, lequel, étant en ce moment à Paris, peut prendre les ordres ou arrangements nécessaires à l’introduction du Voltaire. Sitôt que vous aurez quelque chose à m’apprendre à cet égard, ne me le laissez pas ignorer ; j’ai la preuve en main que c’est d’accord avec les ministres du roi que j’ai commencé cette grande et ruineuse entreprise[1], qui me tient plus de deux millions en dehors, avec le risque affreux de les perdre. Il s’agissait alors de l’honneur de la nation et de l’émulation de plusieurs arts qui nous mettaient dans la dépendance de l’étranger. Aujourd’hui c’est une persécution qui n’a pas d’exemple, quoiqu’on m’eût bien promis qu’il n’y en aurait jamais. Vous connaissez ma tendre et vive reconnaissance.

« Beaumarchais. »


La persécution ne fut ni bien durable, ni bien sévère, à en juger par la lettre suivante, qui, en nous donnant la date exacte de la publication du dernier volume des Œuvres complètes de Voltaire, constate en même temps la connivence du gouvernement durant toute l’opération. Elle est adressée par Beaumarchais au directeur général des postes, M. d’Ogny :


« Paris, le 1er septembre 1790.
« Monsieur,

« Je ne pourrai plus vous offrir que de stériles remerciemens pour tous les bons offices que vous nous avez rendus dans les temps les plus difficiles. Ce volume de la Vie de Voltaire, que j’ai l’honneur de vous adresser, est le complément de notre ouvrage.

« Mais, monsieur, je n’oublierai jamais que, sans votre obligeante assistance, nous serions restés en chemin, et que, morts à la peine, nous n’aurions pu donner à l’Europe impatiente la collection des œuvres du grand homme. Cette audacieuse entreprise me coûte plus d’un million de perte en capitaux et intérêts ; mais grâce à vous, monsieur, j’ai tenu mes paroles données, et c’est une consolation pour moi. Quelques accessoires arriérés occupent encore nos presses. Tout ce qui en sortira vous sera présenté, monsieur, comme un léger tribut de ma reconnaissance.

« Je vous salue, vous honore et vous aime,

« Beaumarchais. »
  1. En quoi consistait cette preuve ? Je ne l’ai pas retrouvée dans les papiers de Beaumarchais.