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ser induire à parler souvent de lui à propos de Voltaire. Les notes de Beaumarchais sont très rares dans cette édition de Kehl ; elles ne portent en général que sur des faits, mais elles sont parfois assez originales[1].

C’est seulement en 1783 (quoique le prospectus datât de 1780) que les premiers volumes de l’édition de Voltaire commencèrent à paraître. — Beaumarchais ne négligeait rien pour affriander les souscripteurs ; non content de faire tout le bruit possible dans les gazettes étrangères[2], il inventa un procédé souvent imité depuis sous diverses formes : il offrit des primes en médailles et en loterie. Un fonds de 200,000 francs fut consacré par lui à former quatre cents lots en argent en faveur des quatre mille premiers souscripteurs, et quoique ce chiffre de souscripteurs n’ait jamais été atteint, la loterie annoncée fut exactement tirée aux époques fixées. Les deux éditions ne purent être terminées qu’en sept ans. Cette lenteur s’explique et par les nombreuses tribulations personnelles que Beaumarchais eut à subir durant cette période et par divers obstacles inhérens à l’opération elle-même. Il avait compté sur la protection du premier ministre, auprès duquel il jouissait d’une faveur marquée ; mais M. de Maurepas mourut en novembre 1781, et l’éditeur de Voltaire perdit en lui un appui contre les attaques du clergé et du parlement. Le premier de ces deux corps se plaignit plusieurs fois au roi de la tolérance que témoignait le ministère en faveur des ouvrages d’un adversaire de l’église ; le second ne poussa pas, je crois, le zèle jusqu’à une poursuite en forme. On fit cependant circuler une brochure très violente, intitulée Dénonciation au Parlement de la Souscription pour les Œuvres de Voltaire, avec cette épigraphe : ululate et clamate. Beaumarchais répondit à cette brochure dans les journaux étrangers en plaisantant sur l’épigraphe, et il n’en continua pas moins sa publication. La vérité est qu’à cette époque il ne se trouvait plus dans les âmes des gouvernans assez de convictions en aucun genre pour les pousser à une attaque sérieuse et suivie contre une entreprise dans laquelle Beaumarchais avait l’opinion pour complice. L’éditeur de

  1. C’est ainsi par exemple qu’en publiant les lettres de Voltaire où ce dernier s’occupe de lui sans le connaître, et le défend contre les odieuses rumeurs qui circulaient à l’époque de son procès contre Goëzman, Beaumarchais ne peut résister au désir de dire son mot à ce sujet. Voltaire écrivait à M. d’Argental : « Un homme vif, passionné, impétueux comme Beaumarchais, peut donner un soufflet à sa femme et même deux soufflets à ses deux femmes, mais il ne les empoisonne pas. » L’éditeur ajoute en note : « Je certifie que ce Beaumarchais-là, battu quelquefois par des femmes comme la plupart de ceux qui les ont bien aimées, n’a jamais eu le tort honteux de lever la main sur aucune. (Note du correspondant général de la Société littéraire-typographique.)
  2. L’édition, étant légalement interdite, ne pouvait être annoncée dans les journaux français.