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faire à son Jupiter qu’une fausse-couche au lieu d’une Minerve, si, en dévorant tout ce qui n’allait pas au but, elle n’eût mis beaucoup d’onction et d’indulgence pour tout ce qui peut y servir. » À travers ces élans patriotiques, on aurait à montrer Beaumarchais se livrant aux spéculations commerciales les plus diverses : — établissement d’une caisse d’escompte, association avec les frères Périer pour la fondation de la pompe à feu de Chaillot, etc. ; — mais cela nous entraînerait trop loin : de toutes ses affaires de commerce qui datent de cette époque, une seule, par son importance littéraire et historique et par les divers incidens qui s’y rattachent, nous semble mériter une attention particulière : c’est à celle-là que nous nous arrêterons.


II. — BEAUMARCHAIS ÉDITEUR DE VOLTAIRE.

Il fallait un homme aussi aventureux que Beaumarchais pour oser entreprendre en 1779 d’imprimer et de publier les Œuvres Complètes de Voltaire. Comme opération de librairie, c’était la plus forte qui eût été tentée jusque-là. L’Encyclopédie n’a que trente-trois volumes, et il s’agissait ici de produire presque en même temps une édition en soixante-dix volumes in-8o  et une édition in-12 à meilleur marché en quatre-vingt-douze volumes. Ce n’est pas précisément le nombre des volumes qui rendait cette opération effrayante pour tout autre que pour l’auteur du Barbier. Il y avait une difficulté bien plus grave encore : la moitié à peu près des ouvrages de Voltaire était prohibée en France. Ces ouvrages prohibés n’en circulaient pas moins assez librement ; mais de temps en temps le gouvernement se croyait tenu de faire acte de rigorisme : on brûlait des éditions, et ceux-là même qui souvent achetaient et lisaient ces ouvrages avec le plus d’avidité envoyaient pour l’exemple en prison les marchands qui les vendaient. C’est un des caractères essentiels des sociétés qui menacent ruine que ce désaccord choquant entre ce qui est défendu par la loi et ce qui est non-seulement toléré, mais approuvé et recherché par les mœurs.

Une édition complète des ouvrages de Voltaire ne pouvait donc s’imprimer en France, mais elle avait besoin de pouvoir y pénétrer avec quelque sécurité ; un coup de rigueur eût été mortel à une entreprise aussi vaste. D’un autre côté, vu l’importance et le fracas de l’opération, comment espérer qu’elle ne soulèverait pas beaucoup de clameurs et que le gouvernement, même dans l’hypothèse où il serait favorable, n’aurait pas la main forcée ? C’était une chance que nul libraire n’osait courir. Panckoucke, qui avait acheté des héritiers de Voltaire ses manuscrits inédits, et qui se proposait d’abord de faire cette édition générale, trouva l’entreprise trop dan-