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succombé, Beaumarchais aurait perdu, non-seulement l’argent qu’il avait su, par son habile insistance, se procurer de la France et de l’Espagne pour venir à leur secours, mais encore sa fortune personnelle ; car il est incontestable qu’agissant tout à la fois, et dans l’espérance, d’un bénéfice plus grand, et aussi (je ne crois pas qu’on puisse équitablement lui refuser ce mérite) sous l’influence d’un désir ardent d’associer son nom au succès de la cause américaine, il avait dépassé de beaucoup les 3 millions qu’il avait reçus. Il n’en est pas moins vrai qu’il avait reçu ces 3 millions, et que M. de Vergennes conservait le droit de lui en demander compte. Ce compte a-t-il été rendu et sous quelle forme ? Le ministre aurait-il exigé de Beaumarchais un remboursement partiel ou total dans le cas où ce dernier aurait été payé intégralement par les Américains ? Pourquoi dans le contrat de 1783 avec l’Amérique M. de Vergennes mentionnait-il un seul des trois millions donnés à Beaumarchais et ne parlait-il pas des deux autres ? Pourquoi, après avoir mentionné ce million, refusait-il aux Américains de communiquer le nom de celui qui l’avait touché ? Prit-il en considération que non-seulement Beaumarchais ne pouvait obtenir du congrès le paiement de ce qui restait dû sur ses fournitures, mais qu’il avait fait dans ses expéditions aux États-Unis des pertes considérables, que plusieurs de ses vaisseaux avaient été capturés par les Anglais, et que le seul état de Virginie, par la dépréciation du papier-monnaie, lui avait fait perdre une somme qu’il évaluait à trois millions ? Ces pertes furent-elles considérées comme une sorte d’acquittement des trois millions reçus de la France et de l’Espagne ? Toutes ces questions sont plus faciles à poser qu’à résoudre. Dans une affaire de ce genre, il y a toujours des points sur lesquels on en est réduit aux probabilités et aux conjectures.

En résumé et pour en finir sur cette mystérieuse opération, qui a fait échanger pendant cinquante ans, entre la France et l’Amérique, plus de cinquante dépêches dont pas une n’est exacte, Beaumarchais, indépendamment de ses réclamations contre les états particuliers de l’Union, réclamait en 1795 du congrès une somme de 4,141,171 liv., y compris les intérêts du compte réglé en 1781 par Silas Deane : après quarante ans de débats, ses héritiers ont touché huit cent mille francs ! Ce qu’il a perdu représente donc au moins la subvention secrète de trois millions qu’il avait reçue. Ce résultat est moins inique en lui-même que si la subvention n’existait pas, mais il n’en fait pas plus d’honneur à la reconnaissance et à la générosité du gouvernement américain.

Ce n’est donc point dans ses rapports avec le congrès que Beaumarchais s’est enrichi, il y a perdu au contraire, mais lorsque le subside de la France et de l’Espagne lui eut permis de monter gran-