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nouvelles recherches m’ont enfin donné le mot de cette énigme : c’est que M. de Vergennes avait fait à son agent la partie plus belle que je ne pensais. Non-seulement Beaumarchais avait reçu 1 million le 10 juin 1776 ; mais ce million de l’Espagne, que j’avais d’abord contesté comme douteux pour le moins, parce que je n’en avais trouvé nulle trace dans les papiers de l’auteur du Barbier de Séville[1], ce million avait été bien réellement fourni par M. d’Aranda. Toutefois, pour garantir le secret de l’opération, ce million avait fait un petit circuit : l’ambassadeur d’Espagne l’avait versé au trésor public de France ; il en avait tiré une reconnaissance du caissier ; il avait remis cette reconnaissance à M. de Vergennes, lequel l’avait transmise à Beaumarchais en échange du reçu que je cite textuellement d’après l’original.


« J’ai reçu de son excellence M. le Comte de Vergennes la reconnaissance d’un million de livres tournois que M. Duvergier avait donnée à M. l’ambassadeur d’Espagne, avec laquelle reconnaissance je toucherai au trésor royal ladite somme d’un million tournois, de l’emploi de laquelle je rendrai compte à sadite excellence M. le comte de Vergennes.

« Caron de Beaumarchais. »
« À Versailles, le 11 août 1776. »


Ce million espagnol du 11 août, ajouté au million français du 10 juin, rend déjà la situation de Beaumarchais moins affligeante ; mais ce n’est pas tout. J’avais trouvé dans les papiers de l’auteur du Barbier de Séville une lettre en date du 18 février 1777, de laquelle il résultait qu’il avait vainement demandé un nouveau secours d’un million, et, partant toujours de l’idée qu’il n’avait reçu qu’un million, je pensais que ses cargaisons dépassant de beaucoup ce chiffre et les Américains ne lui envoyant rien, il avait dû se trouver fort embarrassé. Il l’était en effet ; mais un premier refus ne le décourageait pas, et il revint à la charge, sans doute appuyé par M. de Maurepas, car j’ai constaté que dans cette même année 1777, après une demande infructueuse au mois de février, il reçut de M. de Vergennes, le 31 mai 1777, 400,000 liv., le 16 juin, 200,000 liv., le 3 juillet, 474,496 liv., ce qui fait un total de 1 million 74,496 livres, lequel, ajouté aux deux millions déjà donnés, permet évidemment à Beaumarchais de supporter avec plus de patience les difficultés qu’il éprouve à se faire payer du congrès. Il paraît de plus qu’à la fin de 1777 il avait fait en Amérique un envoi extraordinaire de fusils que le ministère devait lui rembourser à part, car en 1778 il réclame une nouvelle somme de 360,000 livres, et le rapport de M. de Vergennes au roi, en date du

  1. Voyez la livraison du 15 juillet.