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voulut asseoir sa nouvelle autorité sur les opinions divergentes qu’il trouvait en rentrant dans sa patrie. Gouverner l’état, comme les anciens stathouders, en maître à peu près, si ce n’est tout à fait absolu ; diriger des états provinciaux avec l’aide de l’intérêt personnel, des complaisances et de l’esprit de cour ; s’appuyer sur le peuple, suivant la politique de sa maison ; introduire dans la constitution quelques-unes des anciennes dénominations, pour plaire à ceux qui y étaient demeurés attachés, — tel fut le but qu’il se proposa. La constitution fut donc modelée sur les vieilles formes de la république et en reproduisit quelques-unes encore chéries : des états généraux et provinciaux, des ordres équestres, etc. La commission chargée de l’élaborer se composait d’hommes qui représentaient deux opinions fortement tranchées : les partisans de l’ancienne oligarchie républicaine exagérée, et les disciples de la révolution. Les premiers, à la faveur des vieilles dénominations, espéraient ressaisir les institutions du passé ; les autres, rassurés par l’établissement d’un gouvernement monarchique, y cherchaient surtout la destruction définitive de l’ancien fédéralisme, véritable point d’appui des influences oligarchiques. Une constitution équivoque et bâtarde fut le fruit de cette double préoccupation. Lorsque, quelque temps après, la Belgique fut réunie à la Hollande, on sentit le besoin de modifier cette constitution, et ce second travail eut pour résultat des combinaisons fausses, un amalgame confus d’institutions disparates, une organisation politique qui consacrait le pouvoir direct et personnel du monarque, et ne reconnaissait pas la responsabilité ministérielle, tout en déniant au roi le droit de dissoudre les états-généraux.

Cette constitution participait des défauts mêmes de la réunion de la Belgique à la Hollande, alliance antipathique à deux pays que séparaient les contrastes les plus frappans de traditions historiques, de mœurs, de religion, de langage, d’intérêts commerciaux, alliance inspirée par la haine ou la crainte de la France, et qui était une des conceptions les plus malheureuses des cabinets européens. Pour faire face aux difficultés que l’établissement même de ce royaume devait faire naître, il eût été besoin de le confier à un chef d’un esprit élevé, étendu, également étranger à la Belgique et à la Hollande, et capable de lutter, par son impartialité, la hauteur de ses vues et l’absence de toute préoccupation personnelle, contre les divisions, les rivalités, les défiances qui devaient naturellement se former entre les deux parties du nouvel état. Le prince d’Orange, déjà rappelé par la Hollande, était imposé en quelque sorte aux souverains alliés. Loin d’accepter cet accroissement de territoire comme un présent dangereux, il le brigua. Les souvenirs de sa maison devaient pourtant l’avertir des obstacles que l’avenir lui réservait. Guillaume de Nassau-Orange,