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— Un peuple devenu puissant et souverain peut bien regarder, dira-t-on, la gratitude comme une vertu de particulier au-dessous de sa politique ; mais rien ne dispense un état d’être juste et surtout de payer ses dettes. J’ose espérer, monsieur, que, touché de l’importance de l’affaire et de la force de mes raisons, vous voudrez bien m’honorer d’une réponse officielle sur le parti auquel l’honorable congrès s’arrêtera, soit de me régler promptement et de solder son règlement, comme un souverain équitable, soit de choisir entre des arbitres en Europe pour juger les points en débat, d’assurances et de commission, ainsi que M. Barclay eut l’honneur de vous le proposer lui-même en 1785, soit enfin de m’écrire sans détour que les souverains d’Amérique, oubliant mes services passés, me refusent toute justice : alors j’adopterai le parti le plus convenable à mes intérêts méprisés, à mon honneur blessé, sans sortir du profond respect avec lequel je suis, du congrès général et de vous, monsieur le président, le très-humble, etc.

« Caron de Beaumarchais. »


Le congrès trouva cette lettre un peu hardie, et pour apprendre à vivre à son créancier, il confia précisément l’examen de sa créance au seul homme que Beaumarchais eût exclu de cet examen, à Arthur Lee. Le compte fut bientôt réglé : en un tour de main, Arthur Lee constata que le fournisseur, à qui le congrès avait envoyé en 1779 de si belles protestations de reconnaissance et dont la créance avait été réglée, en 1781, à 3,600,000 livres, non-seulement n’avait rien à réclamer des États-Unis, mais qu’il devait au contraire aux États-Unis dix-huit cent mille francs. Après quatre ans de protestations de la part de Beaumarchais, le congrès confia, en 1793, un nouvel examen de cette créance à l’un des hommes d’état les plus distingués de l’Amérique, M. Alexandre Hamilton, qui, réformant le compte fabuleux d’Arthur Lee, fit repasser Beaumarchais de l’état de débiteur de 1,800,000 fr. à l’état de créancier légitime du congrès, pour une somme de deux millions deux cent quatre-vingt mille francs. Il n’y avait, on le voit, que 4 millions de différence entre les calculs d’Arthur Lee et ceux d’Hamilton ; mais en même temps Hamilton proposa qu’il fût sursis à tout paiement jusqu’à ce qu’on eût fait de nouvelles tentatives auprès du gouvernement français pour obtenir la communication du mystérieux reçu d’un million, refusée sept ans auparavant, estimant que, si le reçu était signé de Beaumarchais, il y avait lieu à déduire un million sur sa créance. Conformément aux instructions du congrès, le ministre des États-Unis auprès de la république française, Gouverneur Morris, par une lettre en date du 21 juin 1794, demanda cette communication à Buchot, alors ministre des affaires étrangères. Celui-ci, sans égards pour les déclarations officielles et pour les refus de ses prédécesseurs, voulant, dit-il, donner aux États-Unis la satisfaction qui leur avait été refusée par