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celui des trois commissaires américains qui, arrivé le premier à Paris, avait traité avec Beaumarchais au nom du congrès, fut rappelé à Philadelphie pour rendre compte de sa conduite et défendre les engagemens pris par lui contre les imputations de son collègue Arthur Lee. Ce dernier l’accusait, on s’en souvient, d’avoir, par un concert frauduleux avec Beaumarchais, et contrairement aux intentions du gouvernement français, transformé un don gratuit en une opération commerciale. Cette assertion, dont nous avons déjà démontré la fausseté, offrant l’avantage de dispenser l’Amérique de toute reconnaissance et de tout paiement envers Beaumarchais, le congrès était naturellement assez disposé à l’adopter. Silas Deane, accueilli d’abord aux États-Unis avec des préventions défavorables, eut à soutenir une lutte très vive contre les deux frères d’Arthur Lee, qui exerçaient une assez grande influence dans le congrès. Des débats scandaleux s’élevèrent non-seulement sur les engagemens contractés avec Beaumarchais, mais sur l’emploi des fonds fournis directement aux agens de l’Amérique par la cour de France. Cependant Silas Deane était muni des attestations les plus honorables du gouvernement français : le roi Louis XVI lui avait donné son portrait ; M. de Vergennes avait écrit en sa faveur les lettres les plus flatteuses, et l’ancien premier-commis de M. de Vergennes, M. Gérard, qui arrivait en même temps à Philadelphie comme ministre plénipotentiaire de la cour de France, se montrait plein d’estime pour lui. M. Gérard avait reçu mission de n’intervenir qu’avec prudence dans les querelles de personnes ; mais, voyant que celle-ci prenait les proportions d’une lutte entre l’influence française et le parti anglais, représenté au sein du congrès par les frères Lee, il prit vivement l’offensive contre ces derniers. « Les relations de M. Arthur Lee, écrit-il à M. de Vergennes, ne sont qu’un tissu absurde de mensonges et de sarcasmes qui ne peuvent que compromettre ceux qui ont le malheur d’être forcés d’avoir quelque correspondance avec lui. Souffrez, monseigneur, que je me félicite au moins de vous avoir débarrassé de ce fardeau[1]. » Dans une autre dépêche, M. Gérard écrit au ministre : « Je me suis expliqué graduellement et à l’instant même où cela était indispensable pour empêcher que ce dangereux et méchant homme (Arthur Lee) ne remplaçât M. Franklin[2] et ne fût en même temps chargé de la négociation avec l’Espagne. Je ne puis vous dissimuler, monseigneur,

  1. À la suite de cette querelle, il fut décidé en effet qu’Arthur Lee à son tour serait rappelé.
  2. Arthur Lee travaillait de toutes ses forces à faire aussi rappeler Franklin pour rester seul chargé de représenter les États-Unis à la cour de France ; mais le gouvernement français, qui le soupçonnait de liaisons secrètes avec l’Angleterre, et qui se défiait de lui, s’y opposait de son côté et demandait à garder Franklin, qui fut seul maintenu.