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vous parlez jettera des racines profondes, et l’on ne verra plus l’Allemagne tourner éternellement dans le cercle fatal qui va de la religion à l’athéisme.

Ce n’est pas comme M. Maurice Carrière dans des ouvrages dogmatiques, c’est dans des biographies que M. le docteur Strauss poursuit le développement de sa philosophie religieuse. Nous avons raconté ici les diverses transformations de M. Strauss depuis le scandale éclatant de sa Vie de Jésus. On sait combien le célèbre hégélien a redoublé d’efforts pour réparer les ruines qu’il a faites. Malgré l’influence funeste exercée par son livre, et bien que son nom représente encore pour la foule les plus violens désordres de l’exégèse allemande, M. Strauss ne ressemble en rien aux athées de la jeune école hégélienne. Ces négations dogmatiquement enragées dont parle M. Carrière, ce n’est pas lui qui s’en est rendu coupable. Alors même que sa dialectique menteuse lui défendait de croire à un Dieu personnel, son esprit seul était victime des bouleversemens de la science ; son âme restait ouverte à maintes aspirations religieuses. Dans ses Feuilles pacifiques, dans ses Discours aux paysans de la Souabe, dans sa Vie de Sckubart, on voyait une intelligence sincère qui se débattait contre ses propres entraves, et qui cherchait ardemment un point fixe au milieu des révolutions de la théologie. Cette âme inquiète avait-elle enfin trouvé le repos ? Il s’en faut bien. Après avoir essayé de conserver au moins une vague idée du Christ, il avait paru se résigner simplement à défendre la noblesse morale de l’homme. Les principes de la dialectique hégélienne ne lui permettaient pas de faire respecter par les humanistes cette ombre même de christianisme à laquelle sa pensée s’attachait : il se borna dès lors à protéger contre les démagogues la dignité de notre nature, dût-il être obligé pour cela de demander un appui au monde antique et de retourner au paganisme des Hellènes. C’étaient là les conclusions de sa Vie de Sckubart. Assurément de telles doctrines sont tristes. Ce qui est intéressant chez M. Strauss, c’est l’inquiétude de son âme, c’est la désolation sincère de cette conscience qui, même en repoussant comme un fantôme trompeur la notion d’un Dieu personnel, semble toujours, du fond de sa détresse, invoquer la foi qui lui manque. Le nouvel ouvrage de M. Strauss, la Vie de Maerklin, ne contient pas de plus précieuses consolations que la Vie de Sckubart ; mais on peut y étudier plus à nu les souffrances, les efforts, toutes les luttes intérieures de ces malheureuses intelligences emprisonnées dans les liens du sophisme. Le livre de M. Strauss est intitulé : Christian Maerklin, histoire d’une vie et d’un caractère de ce siècle. Ce titre est exact ; ce n’est des un personnage isolé, c’est toute une école, tout un groupe, c’est lui-même surtout que M. Strauss a peint avec franchise en traçant le portrait de son ami.

Christian Maerklin, fils d’un prélat protestant du Wurtemberg, avait étudié la théologie pour consacrer sa vie au service de son église. Vicaire, puis diacre, il avait apporté à ses fonctions, avec une âme généreuse et droite, une intelligence nourrie de toutes les subtilités de la science. Hegel s’était emparé de lui avant qu’il se dévouât à la prédication du Christ. Maerklin eut beau déployer tout le zèle, toute la charité évangélique dont son noble cœur était capable ; il comprit bientôt qu’il ne pouvait plus se faire illusion à lui-même, et que chargé d’enseigner le christianisme positif, il méconnaissait ses devoirs ou manquait à sa conscience. En vain s’efforça-t-il encore de se créer une sorte