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été refusé ? Dieu a-t-il jamais négligé de gouverner l’histoire, chaque fois que le monde a tendu vers lui ses mains suppliantes, et qu’il lui a crié, par la voix de tous les peuples : « Montre-toi à nous, seigneur Dieu ! »

Certes M. Maurice Carrière dépeint ici avec une poignante émotion la détresse de l’Allemagne. Le malheur, c’est qu’il prétend trouver lui-même cette transformation religieuse, et qu’il en cherche les bases dans les capricieux domaines de l’imagination. Les prophètes et les évangélistes de ce nouveau développement du christianisme, aux yeux de M. Carrière, ce sont les poètes, c’est Lessing, c’est Goethe, c’est Schiller. Ceux-là même qui ont été les plus hostiles à la pensée chrétienne se transforment pour lui en des réformateurs. Étrange religion, à coup sûr, que celle dont les livres saints ont été écrits par les plumes fantasques de Rachel de Varnhagen et de Bettina d’Arnim ! M. Carrière se trompe, s’il croit servir ainsi la religion, dont il parle, d’ailleurs avec une effusion éloquente. Il applique au christianisme les exemples de la société païenne. Il a vu Sophocle et Euripide, comme Aristote et Platon, décomposera leur insu le polythéisme et préparer les esprits aux divines clartés de la révélation : il croit aussi que le christianisme sera transfiguré par ces poètes allemands qui ont chanté depuis un siècle les angoisses et les aspirations d’une époque troublée. Dans ce cas, ce ne serait pas une transformation supérieure du christianisme, ce serait une religion toute nouvelle qu’il faudrait attendre. Les poètes que vous invoquez, interprètes fidèles et passionnés de leur temps, ont exprimé tour à tour des sentimens chrétiens et de vagues aspirations panthéistiques. Si vous vous attachez, à ce qu’ils ont de chrétien, qu’est-il besoin d’une forme nouvelle ? Si c’est le panthéisme de leurs œuvres qui vous séduit, pourquoi parler de christianisme ? M. Carrière, qui défend si bien l’esprit du christianisme et les simples croyances de l’humanité contre les subtilités à outrance des édiles de son pays, se doit à lui-même de poser le problème avec netteté, et de se prononcer sans ambages. Toute la dialectique allemande a abouti au panthéisme ; si les réformateurs nouveaux ne se proposaient pas d’autre tâche que de mettre le panthéisme en rapport avec la religion du Christ, ils tenteraient une œuvre impossible et rentreraient dans le cercle qu’ils veulent briser. Il ne s’agit pas de traiter avec les hégéliens, il faut rompre avec eux. Lorsque l’illustre Schleiermacher publia en 1799 ses Discours sur la religion, il avait affaire à un siècle sans croyances et à une théologie sèchement rationaliste. Son but était de réveiller partout l’idée de Dieu, de montrer ce Dieu partout présent, de nous attacher, si je puis parler ainsi, au sein maternel de l’infinie substance. Il écrivit ses Discours enthousiastes, et, entraîné par l’ardeur même de son zèle, il ne craignit pas de se jeter dans le panthéisme. La situation des esprits rendait cette erreur moins funeste : le sentiment religieux était mort. Schleiermacher le réveilla. Combien tout est changé aujourd’hui ! Voilà plus de cinquante ans que le panthéisme règne, et il a produit comme conséquence dernière l’athéisme le plus éhonté qui fut jamais. M. Carrière a bien compris qu’il fallait ranimer le sentiment religieux, mais il n’a pas vu qu’il fallait procéder cette fois tout autrement que le mystique auteur des Discours. Encore une fois, c’est le panthéisme qu’il faut expulser de la science, le panthéisme généreux des rêveurs comme le panthéisme abject des démagogues. À cette condition seule, la réforme dont