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autres ! — Jésus-Christ, dit M. Barrière, a confié une semence divins à la terre ; cette semence, divine et infinie comme celui qui nous l’a donnée, doit nécessairement produire des fruits sans nombre. Chaque époque de l’humanité cueille un de ces fruits d’or sur l’arbre miraculeux. Parce que le genre humain, sous l’inspiration du médiateur, a réalisé à une certaine époque une certaine forme de christianisme, ce n’est pas à dire qu’il faille s’y emprisonner à tout jamais. Combien de formes nouvelles qui jailliront à leur tour ! Or l’humanité moderne, continue l’ardent rêveur, travaille depuis plus de trois siècles à cette grande œuvre, et l’heure n’est pas loin où s’élèvera, à la place de l’étroite église d’autrefois, l’église universelle !

« Apprenez l’histoire, s’écrie-t-il, et ouvrez l’oreille à ses avertissemens. Voilà bientôt deux mille ans écoulés depuis la venue du Christ, et les mêmes signes qui se manifestèrent alors apparaissent de nouveau sur les flots du temps. Les dernières convulsions de la république romaine se sont reproduites dans les effroyables luttes de la révolution française. Les ombres de Marius, de Sylla, de Catilina, ont reparu dans les sanglantes figures de Danton, de Saint-Just, de Robespierre, et le siècle de césar a recommencé avec le siècle de Napoléon. Depuis les Gracques, le monde païen n’a pas connu le repos jusqu’à la révélation du Christ ; depuis Luther, le monde moderne n’a pas joui non plus d’une heure de paix ; ce ne sont que déchiremens, guerres civiles par l’épée et par l’esprit ; et pour que ce monde repose enfin, il faut, non plus, il est vrai, la révélation du Christ, mais l’intelligence et l’accomplissement de sa loi. La discorde est partout dans les doctrines religieuses. Depuis trois siècles, depuis le dernier concile, l’église catholique est plongée dans un sommeil profond ; le schisme grec est engourdi ou déchiré par les hérésies ; le protestantisme se dissout lui-même et s’écrie : « Tout est consommé ! » Dans le domaine des sciences philosophiques, on est arrivé à une conviction, à la conviction de tout ce qui nous manque, à la conviction que le passé est impuissant à satisfaire les besoins de l’humanité. Les négations, si je puis ainsi parler, les négations flegmatiquement enragées de la science allemande ont été jusqu’aux extrêmes limites du nihilisme. Quant à l’idéalisme, voyez-le aussi étroit, aussi impuissant à produire quelque chose de durable que l’était naguère le matérialisme des encyclopédistes français. De là ce bourdonnement, ce tapage d’opinions, de théories et de systèmes qui assourdit l’Europe. Les rêves et les espérances, les croyances généreuses et les effroyables blasphèmes des siècles qu’a déjà traversés le genre humain, les hérésies chrétiennes et le panthéisme des Indiens, le dualisme des Perses et le monothéisme des Hébreux, tout cela reparaît de nouveau. L’idéalisme et le matérialisme sont là, en face l’un de l’autre ; et tous demandent au ciel que l’heure du jugement dernier sonne enfin. Ce jugement dernier, ce sera l’étincelle de vie qui, pénétrant tous les systèmes à la fois, les consumera, les purifiera et les fera tous ressusciter dans une doctrine plus haute, savoir dans la vérité chrétienne. C’est là une anarchie comme il n’y en eut jamais, anarchie si terrible, qu’elle amènera infailliblement une crise. Il y a partout dans le monde une aspiration, un effort immense, et cet effort du genre humain a été si infructueux jusqu’ici, qu’il appelle de toute nécessité le secours du Père universel, le secours de celui qui règne sur la terre comme au ciel. Ce secours a-t-il jamais