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le temps où l’intelligence humaine, s’élevant de l’expérience à la spéculation la plus pure et ses clartés de la raison aux mystères de la foi, pourra entrevoir dans son ensemble l’immensité du monde spirituel ? Serons-nous un jour autorisés à dire avec Scot Erigène : « La vraie religion est la vraie philosophie ; la vraie philosophie est la vraie religion ? » Et nous sera-t-il permis de répéter sans péril ces audacieuses paroles de saint Thomas d’Aquin : « Tout ce qui est contraire aux principes naturels de la raison est contraire à la divine sagesse ? » M. Joseph de Maistre, dans un de ces rapides éclairs qui sillonnent ses ouvrages, manifeste éloquemment cet espoir, quand il parle « de l’affinité naturelle de la religion et de la science, » et qu’il s’écrie : « Tout annonce je ne sais quelle grande unité vers laquelle nous marchons à grands pas. » C’est là sans doute une sublime espérance, et lors même qu’elle ne devrait pas se réaliser, elle restera toujours comme un idéal pour provoquer les efforts du genre humain. À supposer même que la jouissance de cette grande unité à la fois scientifique et religieuse fut réservée à une civilisation plus haute, il faudrait reconnaître que la sévère réforme accomplie par Descartes était indispensable à cette magnifique évolution de la pensée. Le moyen âge aspirait inutilement à ces splendeurs du monde invisible, parce qu’il méconnaissait la véritable méthode ; il a eu une merveilleuse vision de ce futur édifice de la science, mais l’édifice qu’il construisait lui-même n’avait pas une base scientifique solidement établie, et tout s’écroula au premier choc. Cette base, Descartes l’a donnée : c’est la pensée, c’est l’esprit, c’est l’âme. L’œuvre de Descartes était incomplète assurément, car l’auteur du Discours de la Méthode s’était appliqué surtout à établir certains points essentiels, l’existence de Dieu, l’existence et la spiritualité de l’âme, et le genre humain, une fois en possession de ce qu’il doit aux génies supérieurs, aspire toujours à des conquêtes nouvelles. Sans vouloir enfermer les intelligences dans le système de Descartes, on peut se rappeler que cette philosophie est le commencement nécessaire et la condition des conquêtes durables. Les partisans du moyen âge lui ont reproché sa témérité, les métaphysiciens d’outre-Rhin blâment sa circonspection : eh bien ! si le pressentiment de M. Joseph de Maistre vient à se réaliser, si la philosophie religieuse parvient à établir l’affinité naturelle de la raison et de la foi, le système qui aura le plus contribué à ce résultat, ce sera précisément celui qui a arraché l’esprit moderne aux séductions du mysticisme, qui l’a accoutumé à une mâle discipline et lui a ouvert les voies fécondes de sa virilité. La philosophie cartésienne et tout ce qu’elle a produit est peut-être une magnifique préface à cette œuvre de la métaphysique chrétienne, qui a été l’inutile ambition du moyen âge. Dans ces problèmes de haute spéculation religieuse comme dans les questions purement philosophiques, c’est toujours à l’école française qu’il faut revenir.

L’Allemagne a négligé cette méthode, elle a voulu jouir de la vérité avant de l’avoir conquise. Sur ce point, la science germanique, depuis Kant, offre de singuliers rapports avec le moyen âge. En même temps que les philosophes construisaient une sorte de scholastique, les théologiens les plus célèbres. Schleiermacher et ses disciples, rappelaient souvent, avec plus de science et moins de candeur, l’aventureuse audace des mystiques du XIVe siècle. De