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entre l’ancien ministre et le souverain dépossédé. En 1811, invité par le roi à venir le trouver dans son isolement, M. de Capellen s’y rendit, et passa environ une année près de lui. Louis avait acheté un jardin à la porte de Gratz, où il s’était établi. Tous les jours M. de Capellen y dînait avec lui, et ordinairement en tête à tête. Parfois quelque professeur, quelque savant, invité par le roi, venait animer la conversation. Le soir, on allait dans les maisons de la haute noblesse où il y avait réunion, et de temps en temps le roi recevait cette société chez lui. Il s’occupait d’ailleurs beaucoup de littérature et peu de politique. Dans ses promenades presque journalières avec M. de Capellen, il s’entretenait ordinairement de la Hollande, récapitulant les actes de son règne, regrettant de n’avoir pas pris certaines mesures favorables au pays, et songeant même, sous l’empire des illusions qui n’abandonnent jamais le cœur des hommes, aux améliorations qu’il pourrait faire, si la fortune le ramenait en Hollande. Un soir, le Moniteur apporta le récit du voyage de l’empereur en Hollande avec plusieurs des discours prononcés par les différens fonctionnaires. Cette lecture causa au roi Louis la plus vive irritation, témoignage d’une susceptibilité extraordinaire après l’expérience qu’il devait avoir acquise ; mais, pour bien mesurer la bassesse des hommes, il faut en avoir personnellement ressenti les effets. « Il ne pardonnait pas, répétait-il, de telles lâchetés à des Hollandais qui avaient faussé leurs sermens envers lui, en se jetant dans les bras de celui qui venait de détruire leur nationalité. Il regrettait d’avoir eu si bonne opinion de ces Hollandais consciencieux, du moins l’avait-il cru, qui lui faisaient naguère de si chaudes protestations de fidélité et d’attachement. » Un de ces discours, commençant par ces mois : « Plus Français par le cœur que par les circonstances, » et prononcé par le président du tribunal d’Amsterdam, excita surtout son mécontentement. « Si un de vos anciens princes d’Orange, disait-il à M. de Capellen, venait se mettre à la tête du pays, je serais le premier à vous conseiller de lui offrir vos services ; mais je ne puis que m’indigner de la conduite que les Hollandais tiennent aujourd’hui en prêtant serment à un souverain étranger pour eux, en se décorant d’un ordre substitué au mien par un jeu de mots qui fait de l’union du pays la réunion de ce pays à la France, sous la devise : Tout pour l’empire ! » Il n’avait pas été le témoin des palinodies qui depuis cinquante ans ont salué l’avènement de chaque régime nouveau, et sa surprise peut s’expliquer. Aujourd’hui, à de pareils spectacles on ne s’étonne plus, et le mépris dispense de la colère.

Pour se distraire, il s’occupa de la composition d’un roman rempli de scènes et de personnages appartenant à la Hollande : Marie, ou les Peines de l’amour, fut imprimé à Gratz, où, selon toute apparence,