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ne sont, aux yeux de ces défenseurs attardés des théories de Grégoire VII sur la suprématie universelle du saint-siège, que des hérésies mitigées. Aussi la publication des Mémoires de Cosnac a-t-elle donné lieu à une prise l’armes de l’opinion ultra-catholique. Un journal qui s’en est fait l’organe a frémi en voyant se dresser devant lui le fantôme du gallicanisme dans la personne d’un membre de l’assemblée de 1682, et aussitôt, pour ruiner la doctrine, il s’est mis à attaquer l’homme qui la défendit si vivement dans cette assemblée célèbre. Lorsqu’il s’agit d’un évêque contre lequel, malgré quelques ambitions mondaines, ses contemporains n’ont jamais élevé le moindre reproche, il faut du moins, avant d’en venir aux accusations, vérifier les faits, et c’est précisément ce qu’on a oublié de faire. Ainsi l’on reproche à Daniel de Cosnac de s’être attaché à madame d’Angleterre uniquement pour s’avancer dans les faveurs du roi, et il se trouve précisément qu’à l’époque où le prélat appartint, comme on le disait au XVIIe siècle, à cette princesse, elle expiait, par une disgrâce complète, le désir trop vivement manifesté de faire prendre au duc d’Orléans, son époux, une attitude digne de son rang. On reproche encore à Daniel de Cosnac, après sa promotion à l’archevêché d’Aix, d’avoir administré son diocèse sans être préconisé, et on insinue que ce fait constitue une véritable prévarication ; or, il se trouve que l’archevêque d’Aix fut préconisé en 1693. S’il prit possession de son siège avant que les formalités de la préconisation fussent remplies, il agit en cela comme tous les évêques promus à la même époque, qui tous administraient leurs diocèses, en attendant que les difficultés qui existaient entre la cour de Rome et le gouvernement français fussent aplanies. Ceci posé, nous ferons encore remarquer que ceux qui présentent ce fait comme une prévarication mettent en cause la cour de Rome elle-même, puisqu’ils lui reprochent implicitement d’avoir reconnu des prélats indignes, et nous ajouterons que si l’on s’est trompé sur les détails, on a également fait fausse route en ce qui touche la principale question, car si l’on s’était donné la peine d’étudier le gallicanisme du XVIIe siècle, on aurait vu que cette doctrine, présentée comme un corollaire rationaliste de l’hérésie et une négation de la suprématie religieuse du souverain pontife, n’est en réalité à cette date qu’une simple question de politique internationale. Quelque peu fondées que soient les attaques dont nous venons de parler, elles ont eu cependant un certain écho ; mais nous ne doutons pas que les lecteurs sérieux qui s’occuperont des Mémoires de Cosnac, au lieu d’y voir un sujet de scandale, n’y trouvent qu’un document historique intéressant, écrit avec une sincérité parfaite par un homme qui a tenu dignement sa place dans l’épiscopat. Nous ne doutons pas non plus que, malgré la censure du parti ultra-catholique, ils ne sachent gré à M. le comte Jules de Cosnac d’avoir mis en lumière, en l’éclairant de notes savantes et impartiales, un manuscrit qui ne peut manquer d’intéresser les amis de notre histoire nationale, sans compromettre le moins du monde le clergé du XVIIe siècle.


CHARLES LOUANDRE.