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À mesure qu’on s’éloigne de Paris et des autres centres de consommation, les conditions défavorables vont en s’aggravant. Dans quelques années, la population agricole proprement dite sera en Angleterre le sixième seulement de la population totale ; en France, elle descend rarement au-dessous de la moitié, et, sur beaucoup de points, elle dépasse encore les trois quarts ; il y a peu de place pour les machines là où les bras abondent à ce point.

Mais les révolutions vont vite de nos jours, et si l’emploi des machines aratoires n’est pas encore une nécessité chez nous comme en Angleterre, le temps n’est peut-être pas loin où elles commenceront à le devenir. À l’heure qu’il est, une épargne subite et notable de main-d’œuvre amènerait dans nos compagnes, surchargées de familles pauvres, un véritable bouleversement ; il est donc heureux à beaucoup d’égards que d’autres causes rendent un large emploi des machines à peu près impossible. Cependant, à mesure que les débouchés s’ouvriront, que le trop plein des campagnes s’écoulera, que la demande croissante de produits exigera un surcroît de production, que les procédés perfectionnés s’introduiront dans la pratique pour y faire face, que les rentes, les profits et les salaires tendront à s’élèver à la fois par l’effet d’une plus grande richesse rurale et d’une meilleure distribution du travail, les machines arriveront peu à peu, non exactement semblables à celles de l’Angleterre, parce que la diversité de nos sols, de nos climats et de nos cultures exigera toujours des changemens, mais conformes au même principe économique. Nous voyons déjà depuis quelques années, dans les régions les plus avancées, s’introduire avec succès la machine à battre, le coupe-racines, le hache-paille, les rouleaux perfectionnés, les semoirs, etc.

Tout annonce d’ailleurs en Angleterre de prochains et immenses perfectionnemens. Un petit livre récemment publié sous ce titre bizarre, Talpa, contient à cet égard, sous des formes piquantes et humoristiques, des aperçus qui, pour être hardis jusqu’à l’étrangeté, n’en sont pas moins dignes d’attention. L’auteur fait le procès à la bêche, à la charrue, à la herse, à tous les instrumens usités jusqu’à ce jour pour travailler la terre, et qu’il considère comme l’enfance de l’art. Selon lui, le type du bon cultivateur, c’est, le croirait-on ? la taupe, ce petit travailleur souterrain que la plupart d’entre nous proscrivent sans miséricorde. Déjà les plus éclairés commençaient à s’apercevoir que cet animal si détesté, si poursuivi, n’était pas aussi dangereux qu’il en avait l’air, et qu’à la seule condition d’étendre avec soin les taupinières, il nous apportait, en fouillant la terre sans relâche, un véritable secours. On avait même, sur cette donnée, inventé en Angleterre une espèce de charrue à sous-sol fort ingénieuse, qu’on avait appelée charrue-taupe, parce qu’elle imitait jusqu’à un certain point l’œuvre ténébreuse de l’infatigable mineur ; mais personne n’avait songé jusqu’ici à faire de cette humble bête le modèle complet de l’agriculture perfectionnée. Cette initiative était réservée à l’auteur anonyme de Talpa, et en vérité, en le lisant, on se sent porté à croire qu’il pourrait bien y avoir beaucoup de vrai dans ses idées. Nous en avons tant vu en fait d’inventions originales, que rien ne nous paraît plus impossible.

Voici comment l’auteur justifie son assertion : « Ce que recherchent les cultivateurs, dit-il, c’est le moyen de réduire la terre en poussière, afin d’en extirper les plantes adventices, et de la rendre complètement perméable aux