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Lebon après les plus exécrables forfaits : « J’ai été bon père, bon fils, bon époux, bon ami. » Sait-on comment Saint-Just, ce jeune et féroce sectaire qui se croyait un Lycurgue, définissait la république ?: « Vous avez voulu la république, disait-il naïvement ; ce qui constitue une république, c’est la destruction totale de ce qui lui est opposé. » Et de fait n’était-ce point la destruction qui régnait souverainement ? C’est ce que Saint-Just appelait bronzer la liberté, et ce jeune insensé, qui, par un incompréhensible mystère de la Providence, tenait un pays comme la France sous son joug, qui faisait décréter la spoliation et la mort, ajoutait gravement au bout de ses lugubres programmes : « Mettez le bon sens et la modestie à l’ordre du jour ! » Non, il n’y avait heureusement dans ces hommes nulle grandeur, si ce n’est celle du crime. La véritable grandeur, ainsi que le remarque justement M. de Barante, elle était dans les armées, dans ces soldats qui faisaient obscurément leur devoir, dévorant leurs amertumes et cherchant souvent la mort pour échapper aux spectacles qu’ils laissaient derrière eux. Là où était la grandeur encore, c’est dans les prisons regorgeant de victimes. Le malheur développait une élévation singulière de sentimens et une sorte de fierté méprisante pour la mort et pour les bourreaux, toutes les classes du reste se trouvaient représentées et confondues, et l’infortune créait entre elles, d’une manière plus noble et plus sûre, cette égalité que les despotes révolutionnaires imaginaient imposer à la société par leurs décrets. Une des histoires les plus curieuses serait celle des prisons pendant la révolution. M. de Barante en retrace quelques traits. On y retrouverait bien des exemples de courage, bien des incidens bizarres et fort peu de faiblesses. Il n’est pas jusqu’aux natures les plus abjectes elles-mêmes qui ne se relevassent sous le couteau, témoin cette fille de joie dont M. de Barante rappelle l’histoire, et qui disait à ce pauvre duc du Châtelet, lequel se lamentait un peu trop : « Fi donc ! monsieur le duc, sachez que ceux qui n’ont pas de nom en gagnent un ici, et que ceux qui en ont un doivent savoir le porter ! » Chaumette avait eu l’infamie de vouloir faire monter cette fille sur la même charrette que Marie-Antoinette, et comme on lui demandait ce qu’elle aurait fait, elle répondait : « J’aurais bien attrapé les coquins ; je me serais jetée à ses pieds, et ni bourreau ni diable ne m’auraient fait relever. » Étrange spécimen des bizarreries de ce bouleversement social dans lequel était plongée la France ! Au fond, un des plus déplorables effets de la révolution française, c’est que par ses crimes elle a laissé de profondes plaies morales, politiques, intellectuelles dans notre pays. Plus que tout autre régime, elle a mis la force en honneur ; elle en a donné l’exemple, et elle a créé la nécessité de recourir à une force d’un autre genre qui put protéger contre elle. Elle a fait douter de la liberté, c’est son plus grand crime au point de vue politique, et c’est là le motif de l’insurmontable répugnance que ressentent pour elle tous les esprits virils ; c’est ce qui fait aussi que nous ne sommes pas tenus de professer un grand respect pour la révolution, en quelque pays qu’elle se produise de notre temps.

C’est là un ardre d’épreuves d’où pour son malheur la Suisse n’est point sortie encore. Depuis que le radicalisme domine les cantons helvétiques, il s’est arrangé au pouvoir de manière à ne pas quitter si aisément la place, et