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mettant à part des autres condamnés, en les assujettissant au travail, en leur accordant le bienfait d’un enseignement professionnel, de l’éducation religieuse et morale. Chose douloureuse à avouer, la même progression qui existe en général dans le nombre des crimes en France se retrouve encore ici parmi ces jeunes coupables. De 1846 à 1850, le nombre des enfans soumis à la détention correctionnelle était huit fois plus fort que de 1826 à 1830. Voilà ce qui ressort d’une intéressante statistique consacrée par un inspecteur des prisons, M. Paul Bucquet, à cette malheureuse tribu d’enfans tombés dans le mal. C’est la restauration qui a commencé la réforme du régime appliqué aux jeunes détenus ; depuis, des mesures successives ont développé la même pensée jusqu’en 1850, où une loi était votée sur l’éducation et le patronage des enfans condamnés. Ce n’est point l’état seul, du reste, qui s’est proposé cette œuvre de moralisation des jeunes détenus. On connaît les colonies de Mettray, de Petit-Bourg, de Saint-Ilan, d’Ostwald, fondées et dirigées par de simples particuliers auxquels sont remis les jeunes enfans condamnés. Là ne s’arrête point encore la sollicitude dont les détenus sont l’objet. Au moment où ils sortent des colonies correctionnelles, ils sont reçus par des sociétés de patronage qui se chargent de les placer et peuvent ainsi travailler à compléter leur régénération morale. Reviennent-ils tous au bien sous l’influence permanente et bienfaisante de la règle, du travail et de l’éducation religieuse ? Il en est malheureusement chez qui le vice semble inné. Ceux-là ne font que sortir des colonies correctionnelles pour passer bientôt dans les prisons. Il en est d’autres aussi dont le cœur s’épure dans une atmosphère meilleure, et dont la nature reprend sans effort le pli de l’honnêteté et du bien. Ainsi s’accomplit obscurément une œuvre utile et inspirée par la plus noble et la plus morale des pensées, celle d’arracher des enfans aux contagions, aux funestes exemples, à cette inexorable logique du crime ou du vice qui conduit si souvent jusqu’au bout ceux qui ont succombé une première fois.

C’est par des œuvres de ce genre après tout que se manifeste ce qu’il y a de meilleur dans la vie sociale contemporaine. Ce n’est pas que cet instinct universel d’amélioration, de réhabilitation, de régénération n’ait lui-même ses illusions et ses pièges ; mais enfin il peut aboutir, comme ici, à des résultats pratiques, et il reste toujours une des tendances les plus caractéristiques de notre temps. Cette tendance, on peut la retrouver dans le domaine intellectuel, avant même de la voir passer dans le domaine des expériences publiques ; elle a donné naissance à toute une littérature sociale dont le mouvement est aujourd’hui suspendu. Que reste-t-il à la place dans le monde intellectuel ? Le cours des choses ramène les esprits aux essais de l’imagination, aux études de l’histoire, à l’observation du passé, — et ce passé lui-même, dans ce qu’il a de glorieux, de frivole ou de terrible, n’est-il pas un perpétuel enseignement ? C’est toujours pour la littérature un des objets les plus sérieux et les plus élevés d’étudier la société dans ce qu’elle a été, de la suivre dans ses phases diverses et ses transformations, de surprendre les changemens qui s’opèrent dans les mœurs comme dans la vie politique, de comparer les époques qui se succèdent et s’enchaînent. Il est surtout deux momens de la société française, bien différens quoique bien rapprochés l’un de l’autre, et que deux