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quel moment s’opérera l’évacuation des principautés danubiennes. Sans prétendre pénétrer les secrets des chancelleries, il est bien permis de croire qu’aucune d’elles n’a adhéré à ce droit nouveau, d’après lequel l’invasion d’un territoire ne serait pas un fait de guerre. C’est donc probablement sur ces bases que reposent les négociations en ce moment nouées entre les grands centres diplomatiques de l’Europe. C’est dans ces termes que les dernières nouvelles laissent encore la question des affaires d’Orient.

Peut-être s’est-on un peu hâté de croire à une multitude de propositions et de combinaisons diverses, à des acceptations prématurées du Isar. Il n’est point de jour qui n’ait eu son projet, l’un éclos à Constantinople, l’autre à Vienne, celui-ci à Paris ou à Londres, et, pour tout dire, la télégraphie privée, en multipliant les nouvelles, n’est point sans avoir aidé à la confusion. Dans tout cela, ce qu’il y a de plus vrai, c’est un effort réel, un incontestable travail de la diplomatie pour arriver à trouver une transaction de nature à être proposée à la Russie. Maintenant, que cette proposition prenne la forme d’une démarche directe de la Porte ottomane, d’une médiation de l’Autriche, d’une dernière tentative essayée par l’Angleterre et la France, qu’importe quand le fond est le même, lorsque toutes les pensées tendent au même but ? Ainsi, dans cette période nouvelle dont l’occupation des provinces du Danube est le point de départ, les puissances occidentales n’ont cessé de garder leur attitude conciliante et modératrice. On pourrait même ajouter que la question a fait un pas dans ce sens, en montrant l’Autriche et la Prusse réunies à la France et à l’Angleterre pour tenter aujourd’hui un suprême effort. Si le gouvernement français, par une dépêche rendue publique et parfaitement nette, a cru devoir opposer une réponse nouvelle à la seconde note-circulaire de M. de Nesselrode, il ne laissait pas moins la porte ouverte à toute transaction. Quant à la Turquie elle-même, principalement intéressée dans cette triste affaire, au point où en sont les choses, quelle est sa situation ? Il est évident que des influences bien contraires travaillent ce malheureux empire : d’un côté, il y a le vieux fanatisme turc qui se révolte contre la pression exercée par la Russie et n’aspire qu’à courir les chances inégales de la lutte ; de l’autre, il y a ce sentiment de prévoyance qui ne voit le salut de l’empire que dans la paix maintenue sous les auspices de l’Europe. Il n’est point surprenant que ces influences se retrouvent dans l’entourage du sultan et jusque dans son conseil : de là naissait tout récemment à Constantinople une crise ministérielle qui pouvait avoir les conséquences les plus graves. Les tendances belliqueuses et les tendances plus pacifiques se sont un moment heurtées ; la victoire est restée quelques heures indécise, à ce qu’il semble. Heureusement l’homme d’état qui représente le mieux les influences européennes, Reschid-Pacha, est resté au pouvoir. C’était au premier bruit de l’invasion des principautés qu’éclatait cette crise. Le divan s’est borné à sauvegarder son droit par une protestation contre l’agression de la Russie. On ne saurait certes demander plus de modération dans un document de ce genre ; la réserve y est poussée à l’extrême, le sentiment du droit y parle le langage le plus humble. La Turquie proteste, il est vrai, en ne faisant l’abandon d’aucun principe ; mais elle proteste comme un état qui ne demande pas mieux que d’entrer dans tous les accommodemens compatibles avec son indépendance