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succéder au général Claveria, saisit la première occasion qui s’offrit à lui pour demander raison au sultan de Soulou de divers actes de piraterie, commis au préjudice de sujets espagnols. Il voulut en même temps conclure avec le souverain de l’archipel un traité qui assurât à l’Espagne les avantages concédés à l’Angleterre sur les instances de sir James Brooke. Il se présenta donc devant Soulou, vers la fin de février 1851, avec des forces considérables. Loin d’accueillir ses propositions et de faire droit à ses demandes, les Malais insultèrent le pavillon espagnol et provoquèrent la lutte. Ils occupaient plusieurs forts armés d’une centaine de pièces de canon. Les navires ouvrirent le feu sur la ville pendant que les troupes de débarquement s’élançaient à l’attaque des forts, qui furent enlevés après une vive résistance. Le sultan et les datons se réfugièrent dans l’intérieur de l’île, où il eût été difficile de les poursuivre. Cette victoire coûta aux Espagnols trente-quatre hommes tués et quatre-vingt-quatre blessés ; mais elle fut décisive, et elle prouva aux pirates que désormais le gouvernement des Philippines ne se laisserait plus outrager impunément.

Ces corrections répétées suffiront-elles cependant pour intimider les Malais ? Cela est douteux, et les croiseurs anglais, hollandais et espagnols devront longtemps encore exercer dans l’archipel une police rigoureuse. On ne détruit pas en un jour des habitudes aussi invétérées. Essayez donc de prêcher la morale et le respect de la propriété à des tribus qui pendant des siècles ont vécu de rapine, et de pillage ! La force seule aura raison de ces forbans. C’est par la conquête, par la domination absolue, que les peuples européens couperont le mal dans sa racine et effaceront les derniers vestiges de la barbarie asiatique. On a conclu de nombreux traités avec les principaux chefs de tribus, qui, sous la menace du canon, se sont empressés de renier la piraterie et d’accueillir les plus séduisantes propositions de paix et de commerce ; mais à peine les navires de guerre sont-ils hors de vue que les Malais remontent sur leurs pros, réunissent leurs ballas et partent en course. Tôt ou tard, et le plus tôt sera le mieux, on se lassera de cette chasse continuelle à la poursuite d’ennemis presque insaisissables, et au lieu d’expédier dans les détroits d’insuffisantes et coûteuses croisières, on occupera définitivement les territoires, et on comprendra la nécessité en même temps que l’économie de la conquête. L’Angleterre est déjà entrée dans cette voie. L’établissement de Sarawak, qu’est-ce autre chose que le début de l’invasion britannique sur les côtes de Bornéo, et sir James Brooke, vainement déguisé sous son titre de rajah, ne représente-t-il pas bien plutôt un délégué de la reine Victoria qu’un souverain malais ? — Les Hollandais seront également tenus de consolider et d’étendre leur domination dans les îles de la Sonde ; ils possèdent à Batavia une forte marine à vapeur et de vaillantes troupes qui ont récemment fait leurs preuves contre les indigènes de Bali. — Les Espagnols eux-mêmes, on vient de le voir, ont résolument attaqué Soulou. — Si la France s’était emparée de Bassilan, elle aurait eu, elle aussi, un rôle à jouer dans la lutte engagée avec la piraterie.

Je ne crois pas qu’on doive regretter l’abandon des projets formés sur Bassilan. Les événemens dont j’ai rendu compte se passaient en 1845 ; à cette époque, le gouvernement avait tout intérêt à ne pas compliquer par des difficultés