Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 3.djvu/602

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il présente intrépidement, comme une traite échue, à l’acceptation des majestés indigènes. Au mois d’avril 1849, il reparut à Soulou avec l’inévitable traité, et cette fois il obtint la signature du sultan, devenu par ce fait l’allié et l’ami des Anglais. Aussi le capitaine Keppel se hâte-t-il de déclarer que, sous l’influence de sir James Brooke, cet ancien chef de pirates s’est entièrement converti, et il blâme très amèrement les Espagnols d’avoir cherché querelle à Soulou au moment même où les Européens, c’est-à-dire les Anglais, allaient profiter des avantages que leur offrait l’ouverture d’un nouveau marché.

De toutes les nations européennes qui possèdent des colonies dans ces parages reculés de la Malaisie, l’Espagne est sans contredit la plus intéressée à réprimer les audacieuses entreprises des pirates. Pendant de longues années, elle avait fermé les yeux sur les brigandages qui se commettaient jusque sur les côtes des Philippines : la marine de Manille était trop faible pour exercer dans ces mers une surveillance efficace ; mais l’expédition des français contre le village de Maloço révéla à l’Espagne les inconvéniens et les dangers d’une tolérance qui accusait si manifestement sa faiblesse, et le cabinet de Madrid comprit qu’il ne pouvait laisser à d’autres pavillons la police de l’archipel sans abdiquer en quelque sorte les droits de souveraineté qu’il avait invoqués à l’occasion de la campagne de Bassilan. Son intérêt et même son honneur lui commandaient de prendre à son tour des mesures décisives contre la piraterie. Au mois de. février 1848, le général Claveria, gouverneur des Philippines, arma une flottille, partit de Manille avec quatre mille hommes, et alla attaquer une tribu de Soulou qui était établie sur l’île de Balanguigui. Les pirates s’étaient retranchés dans une forteresse en bambou, défendue par quatorze pièces de canon. Les troupes de débarquement donnèrent l’assaut le 13 février. Les Malais se battirent bravement ; quand ils virent que la résistance était désespérée, ils massacrèrent eux-mêmes les femmes, les enfans et les vieillards de la tribu, et se firent tuer jusqu’au dernier. Deux autres forts (Sipac et Sungap) furent pris pendant la même, campagne. — A son retour, le général Claveria fut accueilli avec enthousiasme ; on lui dressa des arcs de triomphe ornés d’inscriptions pompeuses, et la population tagale, qui n’a guère d’ardeur que pour les fêtes et les combats de coqs, célébra par les démonstrations les plus joyeuses cette première victoire, remportée contre les Mores. Il ne s’agissait pourtant que de la destruction de trois forts en bambou et de la défaite d’une poignée de sauvages ; mais les Tagals, élevés dans la crainte de Dieu et des Mores, ne pouvaient rien imaginer qui fût au-dessus d’un pareil exploit. Le général Claveria y gagna le titre de grand d’Espagne et de comte de Manille. — Par une singulière aventure, ses lettres de noblesse tombèrent entre les mains de pirates chinois. L’officier qui les lui apportait d’Europe par la malle de Suez, fut attaqué dans une traversée de Hong-kong à Macao. Heureusement les pirates furent pris à leur tour par un croiseur anglais et pendus à Hong-kong : on retrouva dans leur butin les dépêches de Madrid et le brevet, qui parvinrent ainsi à leur destination.

Deux ans après l’expédition de Balanguigui, le gouverneur général des Philippines, don Antonio de Urbistondo, marquis de la Solana, qui venait de