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Bassilan furent connues, l’amiral et le ministre de France résolurent de se rendre immédiatement dans l’archipel Soulou et de rejoindre la Sabine pour aviser aux mesures que commandait l’honneur de notre pavillon, ils quittèrent Manille le 8 janvier 1845, et après une traversée de quatre jours ils mouillèrent sur les côtes de Bassilan, où la Sabine les attendait.

La situation s’était gravement compliquée. M. Guérin avait cru devoir déclarer le blocus de l’île, bien que le gouverneur de Samboangan fit valoir les droits de la couronne d’Espagne sur Bassilan et invoquât une espèce de soumission consentie par les principaux chefs de cette île au mois de février 1844. Les prétentions du gouverneur étaient appuyées par le brigadier Bocalan, commandant de la frégate espagnole l’Esperanza, qui se trouvait en croisière sur les côtes de Mindanao : prétentions singulières, car il était notoire que jamais l’Espagne n’avait été obéie à Bassilan, et d’ailleurs comment pouvait-elle concilier un droit quelconque de suzeraineté avec les démarches précédemment faites par le gouverneur de Samboangan pour obtenir à prix d’argent et par une négociation officieuse la délivrance des prisonniers de la Sabine ? Les réclamations des officiers espagnols n’étaient donc fondées ni en fait ni en droit ; aussi, lorsqu’une falua voulut tenter de forcer le blocus, le commandant Guérin n’hésita pas à lui envoyer des boulets. Ce fut au milieu de ces embarras, de ces susceptibilités fort envenimées de part et d’autre, que l’amiral Cécille et M. de Lagrené parurent à Bassilan ; mais en attendant que la question de propriété relative à ce coin de terre fût résolue en Europe par les explications échangées entre les deux gouvernemens, les malentendus regrettables qui s’étaient produits sur les lieux mêmes ne pouvaient en aucune manière paralyser la liberté d’action de notre escadre, dès qu’il s’agissait de venger nos compatriotes et d’infliger une correction exemplaire à un ramassis de forbans.

Les navires français avaient jeté l’ancre à petite distance de terre, dans une baie abritée contre les vents. Le rivage était en quelque sorte tendu d’un vert rideau de palétuviers, et les branches des arbres, inclinées vers la mer, semblaient reposer sur l’eau. On n’apercevait aucune trace d’habitation ou de culture, tout était désert ou sauvage. Au fond de la baie, entre Bassilan et l’îlot de Malamawi, s’ouvrait un chenal de trois milles de long, que l’Archimède parcourut dès le premier jour de notre arrivée. J’étais embarqué sur le steamer, et je me souviens du spectacle vraiment admirable qui s’offrit à nos yeux. Qu’on se figure un canal parfaitement droit, encaissé entre deux forêts vierges et reflétant dans une eau calme et limpide la fraîche verdure de ses bords : des essaims d’oiseaux au riche plumage voltigeaient d’une rive à l’autre. L’Archimède, poussé rapidement par la vapeur, troublait seul, au bruit de ses roues, cette charmante solitude. Ce n’était pas seulement un délicieux tableau, c’était un port merveilleux, et déjà nos imaginations impatientes défrichaient les forêts, fondaient une ville, construisaient des forts et comptaient dans ce magnifique bassin des milliers de navires ! Beaux rêves, qui devaient, comme tant d’autres, s’évanouir ! Aujourd’hui encore, le port de Malamawi n’est sillonné que par les rares pirogues des indigènes de Bassilan.

Notre premier séjour en vue des cotes de l’île se prolongea près de trois